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caché et une utilité pratique ; il voyageait pour ses affaires beaucoup plus que pour son plaisir. Il voulait aussi se rendre populaire et se créer des appuis à l’étranger. Il n’y réussissait pas toujours. « Le prince Ferdinand, me disait le roi Carol, qu’il accablait de ses visites, est fort agréable, mais on ne peut se fier à lui. » A Paris, il posait pour le petit-fils de Louis-Philippe et pour le descendant des Bourbons ; à Chantilly, il se présentait comme le neveu très déférent de l’oncle illustre, qu’entourait d’affection et de respect la Maison de France ; à Windsor, comme le petit-cousin de la reine Victoria, qui l’accueillait d’un sourire indulgent. Aucun prince n’a plus joué que lui de sa parenté ni exploité davantage ses liens de famille : Français ici, Allemand là, toujours Hongrois et très Bulgare. Que l’homme véritable était difficile à découvrir sous ces avatars intéressés !

En voyageant, il faisait lui-même sa propre diplomatie, diplomatie occulte dont il ne laissait le travail à personne. Son éloignement pour les diplomates de carrière se manifestait même envers les ministres étrangers, auxquels il demeurait invisible, sauf dans les fêtes officielles, assez rares à sa cour. Ce système de claustration fut poussé à ses dernières limites, lorsqu’il eut acquis le litre et le rang de Majesté.

A la cour de Berlin on ne l’aimait guère, tant qu’on n’a pas eu besoin de lui, et l’Empereur n’essayait pas de l’attirer dans sa clientèle. Défiance et antipathie réciproques, jalousie de comédiens qui exerçaient leur art sur des tréteaux très différens. Lorsqu’il se fut proclamé Tsar, il fit attendre pendant trois ans sa première visite officielle à la famille impériale. J’ai été informé en 1910 de l’irritation que ce retard volontaire causait à Guillaume II. Cela n’a pas empêché l’Empereur allemand, de concert avec son allié autrichien, de jouer auprès du souverain des Bulgares, vaincu et humilié, le rôle de tentateur, jusqu’à ce qu’il se fût jeté dans les bras qu’on lui tendait.


IV

Aux yeux du prince de Bulgarie, le firman d’investiture et la reconnaissance de son élection par les Puissances n’étaient que le premier échelon de son ascension vers de plus hautes destinées. A l’instar de ses confrères de Roumanie et de Serbie,