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jamais été, mon frère et moi, entre les mains des Alliés que des mannequins politiques qui leur servaient à épouvanter les Français… » C’est un peu ce que Guido était aux mains des Vénitiens. Mais il était aussi autre chose, que ne furent pas toujours les Princes exilés. Dès qu’il sut que ses partisans se battaient pour lui, avant même d’être fixé sur l’issue de la lutte, il partit. Prenant la voie de mer pour éviter les embûches de la montagne, il débarqua le soir même à Sinigaglia, chez sa sœur la Préfétesse, et, profitant de la nuit, entra dans les montagnes du Montefeltro.

César, prévoyant sa venue, avait déjà pris les mesures nécessaires pour l’arrêter. Dans une proclamation aux habitans de Bertinoro, il annonçait l’arrivée possible de Guido et donnait ses ordres. On devait occuper immédiatement, en armes, tous les défilés de la montagne, arrêter quiconque tenterait de passer et, en cas de résistance, le tuer. Dans cette proclamation, César se réclamait, comme toujours, de l’Étranger, de la France, contre le seigneur du lieu. « Guidobaldo n’est pas averti, disait-il, de la bonne intelligence qui, règne entre Sa Sainteté le Pape et le Roi très chrétien de France » : de là, lui venait son audace. Elle fut grande en effet. En passant par Sinigaglia, il avait déjoué les pièges de Borgia. Le 17 octobre, il arrivait à San Leo et, le lendemain, il atteignait Urbino, acclamé sur son passage par tous les villages et les châteaux qui avaient placé partout des tables, chargées de fruits et de victuailles pour le réconforter. Il n’avait avec lui que dix cavaliers, mais le pays entier lui faisait cortège.

Comme il approchait d’Urbino, toute la population vint à sa rencontre, et ce ne fut qu’en fendant les rangs serrés de la foule qu’il put atteindre la cathédrale où l’évêque l’attendait, à la tête de tout son clergé, pour chanter un Te Deum d’actions de grâces. C’était très beau, mais l’effort fourni pendant ces derniers jours l’avait terrassé. Un accès de goutte au genou le mit au lit pendant quelque temps : c’est là qu’il recevait, nuit et jour, les Urbinates fidèles, « et bien qu’ils eussent perdu à la guerre un mari, un frère, un fils, ils se consolaient par le retour du seigneur. » « Je perdis, par le pillage 25 ducats à Monte Calvi, dit l’un d’eux, et c’est la raison pour laquelle, cette année-là, je ne pus ensemencer, mais il me sembla que je n’avais rien perdu quand je vis mon seigneur et surtout quand je lui tou-