Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/847

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il en essaie, et si bien, qu’après un séjour à Strasbourg, le voici sans le sou de retour à Bade, le 15 septembre :

« Mon séjour à Strasbourg, mes frais de transport et de voyage depuis que je l’ai quitté, m’ont mis à sec, écrit-il à son ami Buloz. J’ai agi trop légèrement et j’en porte la peine. Ma mère est aux eaux de Lucques, en sorte que je me trouve vraiment dans la position la plus pénible, et tout à fait sans ressources, ici où je ne connais personne. » Bref, il demande à F. Buloz de lui faire parvenir 500 francs par Mme Levreault. — « Vous avez toujours été si obligeant pour moi que j’espère que vous m’épargnerez cette triste affaire : dans un pays où je ne connais personne, ce serait à ne savoir que devenir... »

Bien entendu, F. Buloz écrit à Mme Levreault. Mais il n’a pu sans doute, en rassurant Musset, se priver de lui faire quelques remontrances, car Musset riposte :

« Vous me dites que je ne travaille pas, je voudrais bien savoir ce que vous en savez. Vous commencez au mois d’octobre à vous plaindre, pour un travail qui ne doit finir qu’au 1er janvier ; c’est vous plaindre trop tôt. Attendez surtout pour déclarer que je ne travaille pas, qu’il vous soit possible d’en savoir quelque chose. Et souvenez-vous qu’il est beaucoup plus pressant de tirer de l’eau un écolier qui se noie, que de lui faire tous les sermons de la terre [1]. »

Et encore, le 3 octobre :

« Je vous en prie, ne me faites pas de morale. Tout cela est moins plaisant qu’on ne pourrait le croire. »

Tout cela n’était guère plaisant, en effet, car, à côté de la plaie d’argent, il y en avait une autre, et qui ne voulait pas guérir.

Pourtant, après les premiers jours de cette séparation de Bade, il ne semble pas que Lélia fût en proie à la crise amoureuse du début. La lettre qu’elle écrit à Boucoiran, le 31 août, fait allusion à l’exécution de « volontés sacrées, i) et puis : « Faites carder mon matelas. Je ne veux pas être mangée aux vers de mon vivant..., etc. » x\u bout de quelques semaines, et pendant que lui écrit ces lettres si ardentes : « Je suis perdu, vois-tu, je suis noyé, inondé d’amour, je ne sais plus si je vis, si je mange, si je marche, si je respire, si je parle, je sais que

  1. Inédite. (Collections de Lovenjoul, F. 167.)