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que jusqu’ici je ne les ai pas mérités. Enfin, depuis quinze jours j’étais bien et je travaillais, Alfred travaillait aussi, quoiqu’il fût un peu souffrant, et qu’il eût de temps en temps des accès de fièvre. Il y a environ cinq jours, nous sommes tombés malades à peu près ensemble. Moi d’une dysenterie qui m’a fait horriblement souffrir, et dont je ne suis pas rétablie, mais qui m’a laissé du moins la force de le soigner, lui d’une fièvre nerveuse et inflammatoire qui a fait des progrès rapides au point qu’aujourd’hui il est très mal, et le médecin déclare qu’il ne sait qu’en penser. Il faudra attendre au douzième ou treizième jour pour sa vie ! Et que sera le douzième ou treizième jour ? Le dernier peut-être ! Je suis au désespoir, accablée de fatigue, souffrant horriblement, et attendant quel avenir ?

« Comment voulez-vous que je m’occupe de littérature et de quoi que ce soit au monde, en ce moment-ci ? Je sais seulement qu’il nous reste pour fortune soixante francs, que nous allons dépenser énormément en pharmacie, en gardes malades, en médecins, etc., que nous vivons dans une auberge très chère. Nous allions la quitter et habiter dans une maison particulière. Alfred n’est pas transportable, et ne le sera peut-être pas d’un mois, en supposant tout au mieux. Nous serons forcés de payer un terme de loyer inutilement, et nous retournerons en France, s’il plaît à Dieu. Si mon malheur va jusqu’au bout, et qu’Alfred meure, je vous avoue que ce qui arrivera après, de moi, m’est assez indifférent. Si Dieu permet qu’Alfred se rétablisse, je ne sais avec quoi nous paierons les frais de sa maladie et son retour. Les mille francs que vous devez m’envoyer n’y suffiront pas. Et je ne sais comment nous ferons. Ne retardez pas du moins l’envoi de cette somme. Quand elle arrivera, elle sera plus que nécessaire. Je suis fâchée du désagrément que vous avez d’attendre votre publication, mais voyez si c’est ma faute. Si Alfred avait quelques jours de calme, je pourrais bien vite terminer mon travail. Mais il est dans un état d’agitation et de délire épouvantable. Je ne puis pas le quitter un instant, j’ai mis neuf heures à vous écrire cette lettre.

« Adieu, mon ami, plaignez-moi.

« GEORGE.


« Surtout, pour quelque raison que ce soit, ne dites à personne, à personne au monde, qu’Alfred est malade. Si sa mère