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de Longwy, la création d’une Mittelafrika allemande englobant toute l’Afrique Centrale, depuis le Cameroun et le Gabon jusqu’à la région des Grands Lacs et au Mozambique. En Allemagne, la politique de Bethmann ou de Kuhlmann, — celle des annexions déguisées et des conquêtes économiques, — a succombé devant la politique de Ludendorf, celle des annexions à outrance. Une inéluctable fatalité veut que le militarisme allemand, qui a déchaîné sur le monde le crime de cette guerre, soit acculé à la politique du tout ou rien et qu’il ne puisse, sans être balayé, abandonner aucun de ses buts de conquête. La constatation à laquelle nous ne pouvons nous soustraire est qu’après trois ans et demi de guerre, l’Allemagne, si épuisée qu’elle soit, est tout entière avec Ludendorf contre Kuhlmann.

Peut-on concevoir une paix de transaction avec les alliés de l’Allemagne ? En tout cas, il n’y a pas de transaction possible avec l’impérialisme allemand, qui exploiterait la paix comme une trêve, lui permettant de recommencer dans quelques années, avec des moyens agrandis, le coup de 1914. Réciproquement, aucune des clauses positives de la paix du droit, telle que nous la voulons, telle que nous devons l’exiger, n’a chance d’être acceptée par le peuple allemand dans sa mentalité actuelle. Or, précisément parce que le programme de paix de l’Entente est fondé sur le terrain solide des principes, il échappe aux transactions de la diplomatie, il est intangible dans ses grandes lignes. L’antinomie est complète.

Prenons comme exemple deux articles du « Programme de la paix du monde » tracé par le président Wilson : la restitution de l’Alsace-Lorraine à la France et la reconstitution de la Pologne.

Il nous est impossible de concevoir l’établissement dans le monde d’une paix fondée sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, si cette paix laisse subsister les conséquences de la violence faite, il y a cinquante ans, aux populations alsaciennes. Nulle protestation ne fut plus vraiment unanime que la leur, nulle n’est moins sujette à discussion. Abandonner nos droits sur l’Alsace serait sacrifier les principes mêmes que nous jugeons indispensables à la garantie de la paix. Les chefs des gouvernemens alliés ont promis de nous « soutenir jusqu’à la mort [1] » dans nos revendications. Les délégués socialistes

  1. Discours prononcé par M. Lloyd George devant les délégués des Trade-Unions, le 5 janvier dernier.