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huit ou dix douzaines : encore la foule a-t-elle fait deux fois plus de victimes que le bombardement. La grossière Allemagne pourrait être tentée de se féliciter de ce que soixante-dix de ces femmes et de ces enfans sont allés s’écraser contre les portes d’un refuge ; elle y pourrait reconnaître un signe de l’épouvante qu’elle sème, et sa vieille âme de barbarie en serait inondée de joie, car, il ne faut pas se lasser de le répéter, elle serait ainsi bien dans sa ligne, et c’est bien ainsi qu’elle comprend la guerre : Horridum militum esse decet, disait l’inscription que notre Montaigne lut à Landsberg. Elle s’abuserait. Le fameux canon lui-même, qui tire de trente lieues, nous intrigue plus qu’il ne nous effraie. Il nous plaît de le considérer avec curiosité, sous les espèces d’une nouveauté balistique. De vingt en vingt minutes, il nous envoie un obus de 240, et consacre Paris ville du front. Ce sont surtout nos nerfs qu’il vise, mais il a l’organe trop sourd pour les faire vibrer. Et puis, nous sommes trop amateurs de théâtre, pour ne pas comprendre que tout ce bruit est orchestré suivant les règles d’une dramaturgie sauvage. Ce qu’il y a de mécanique et proprement de stupide dans le génie allemand s’impose à notre jugement jusque par la répétition chronométrée des coups.

A leur tour, que nos escadrilles partent ; qu’elles emportent d’autres provisions que des outres gonflées de vent ; qu’elles s’enfoncent dans le territoire de l’Empire aussi profondément qu’elles pourront s’avancer. Si nous voulons être compris des Allemands, parlons-leur le seul langage qu’ils comprennent. Il ne s’agit ni d’imitation, ni de vengeance, ni de représailles ; il s’agit de guerre et de force. L’objet de la guerre est de vaincre, et le moyen est d’être partout le plus fort : c’est une philosophie très simple, qu’il n’est pas besoin d’embarrasser de casuistique. Nous eussions mieux aimé une guerre plus élégante, mais nous sommes obligés, sous peine d’anéantissement, de faire celle qu’on nous fait. Ne nous désarmons d’aucune arme, ne nous enchaînons pas nous-mêmes. Surtout ne négocions pas inconsidérément des marchés de dupes qui ne seraient attribués qu’à la peur, et qui seraient exploités comme des symptômes d’abandon. Assez des huit kilomètres du 2 août 1914 ; ils ont suffisamment marqué notre volonté de paix ; point de trente kilomètres, en 1918, qui ne marque- raient que notre volonté de soumission. L’Allemand est un être que l’on n’attendrit pas, n faut l’abattre. Il ne s’humanise que dans la poussière.

A lire attentivement les derniers communiqués, on a l’impression que, dès à présent, l’aviation des Alliés domine ; ce n’est pas trahir