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Sous le nom de sœur Irène, Mélanie de Berkersburg prodigue ses soins aux blessés belges. Elle adopte plus spécialement l’un de ces malheureux qui se trouve être Josua de Kruiz, le plus grand poète de la Belgique. Elle se voue au salut de Josua comme s’il s’agissait d’arracher à la mort la Belgique elle-même. On commence par amputer Josua de Kruiz des deux jambes. Il supporte l’opération, mais ne cesse plus de délirer.

Une inondation causée par la rupture des digues ajoute à l’horreur de la situation. Autour de sœur Irène tous ont fui. Sœur Irène reste seule, agenouillée devant le lit de Josua de Kruiz. Les eaux redoublent de violence. Sous leurs coups répétés, le frêle abri, où sœur Irène veille avec amour, s’écroule. Le poète et sa garde-malade sont roulés par la vague. Avec une énergie surhumaine, sœur Irène empoigne le corps du mutilé et l’emporte au sommet de la dune ; mais les eaux montent jusque-là. Sombre et résignée, sœur Irène les attend en improvisant, gagnée par le délire poétique, un hymne funèbre sur la mort de la ville d’Ypres. Après quoi, le flot montant toujours, sœur Irène saisit le corps du poète et le tient à bras tendus au-dessus de la mer en folie. Une dernière vague, plus furieuse, les renverse et les noie ensemble.

La violence de ces sentimens, le dramatique de ces situations ne laissent pas d’agir sur les nerfs du lecteur, mais convenons que tout ce pathétique est d’une qualité médiocre. Inferno veut dire Enfer. On sait que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Rendons hommage aux intentions qui ont inspiré ce livre, mais n’hésitons pas à faire sur l’exécution toute sorte de réserves.


L’autre « roman de guerre » de M. Stilgebauer, le Navire de la Mort, n’est pas de qualité sensiblement supérieure, et il est d’un tragique encore plus sombre. Car l’auteur a pris pour thème : le torpillage du Lusitania.

Un paquebot anglais de grand luxe, le Gigantic, va quitter New-York à destination de la Grande-Bretagne ; mais le départ est attristé par une démarche de l’ambassade allemande. En effet, elle fait délivrer aux passagers un billet les mettant en garde contre un torpillage possible. Quelques voyageurs regagnent la terre. La plupart restent courageusement à bord.

On l’a dit cent fois : un paquebot est un microcosme. Après beaucoup d’autres, M. Stilgebauer décrit les passagers des diverses classes, sans oublier les pauvres gens entassés dans la partie inférieure