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sans amour, — et pour payer les dettes de son père, — le major de Berkersburg, un soldat sans cœur et sans esprit. Aussi trompe-t-elle sans remords ce grossier soudard avec un officier, inférieur en grade, mais supérieur pour tout le reste, le capitaine Adolf. Adolf est jeune et beau, il est tendre, il est musicien. Enfin, — et l’on goûte la hardiesse de cet éloge sous la plume d’un romancier allemand, — « il a quelque chose d’anglais, bien qu’il soit officier prussien. »

Mélanie et Adolf ont soigneusement caché leurs amours jusqu’au jour de juillet 1914 où, sur l’ordre de Guillaume II, s’accomplit la mobilisation générale de l’armée allemande. Affolés par la perspective d’une séparation peut-être éternelle, Mélanie et Adolf se trahissent. Le major les surprend en train d’échanger un imprudent baiser d’adieu. Le moment est trop solennel pour un règlement de comptes ; donc, Berkersburg n’a rien vu, mais il se promet bien de ne pas manquer la première occasion qui s’offrira, — et tout permet de croire qu’il s’en offrira plus d’une, — pour envoyer à la mort l’ami qui a trahi sa confiance. ,

Une occasion propice se présente dès les premiers jours de l’invasion. Le bataillon de Berkersburg est cantonné à Rosey, sur la Meuse. D’énormes masses ennemies sont signalées en avant du village. Berkersburg demande à être envoyé en première ligne, mais c’est afin de pouvoir désigner pour un poste plus dangereux encore le capitaine Adolf, son subordonné.

Le capitaine Adolf fait la guerre sans conviction. Il déclare courageusement : « J’aime le pays où nous lançons des torches incendiaires et ne puis trouver en moi la force de le haïr. » Le dégoût dont il est saturé, et qu’il n’a même plus la force de cacher, facilite au capitaine Adolf l’acceptation de la tâche que son chef lui impose. Il a d’ailleurs compris tout de suite ce que Berkersburg espère et attend.

Mais, comme il arrive toujours en pareil cas, Adolf sort indemne du combat, et c’est Berkersburg qui reçoit une blessure au bras. Oubliant ses griefs, Adolf panse et soigne Berkersburg avec un dévouement fraternel. Si bien que Berkersburg, désarmé par une telle grandeur d’âme, se réconcilie avec le capitaine Adolf et, du coup, gagné par la contagion antimilitariste, se met à tenir, lui aussi, les propos les plus subversifs.

Sa conversion, toutefois, est moins solide qu’il ne parait. Adolf ayant été tué par des « francs-tireurs, » (sic) Berkersburg qui, la