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centaine de milliers d’oignons aux dames de Blérancourt, qui ont bien voulu s’occuper de la distribution de ces plantes potagères aux maraîchers de l’Aisne. Dans certaines communes rurales, par exemple à Trosly-Loire, localité plus grande que Blérancourt, il ne restait plus rien, la population ayant été enlevée en masse, y compris les enfans. Dans tous les endroits où les rapatriés commencent à rentrer, l’initiative américaine s’applique à trouver des solutions conformes à la loi morale et sociale qui veut que l’individualisme d’autrefois cède au progrès naturel de la coopération.

A Audignicourt, une dizaine de maisons, incendiées ou démolies par l’ennemi, ont été reconstruites. A Selens, un agriculteur très estimé, M. Boucher, qui a terriblement souffert de la guerre, est devenu l’un des plus utiles collaborateurs des dames de Blérancourt, dont l’ambition, déclarée à haute et intelligible voix, consiste à instituer, en matière agricole, des œuvres permanentes et durables. Quotidiennement, elles font des visites d’inspection et de contrôle dans toute la région, afin de se rendre compte des résultats obtenus et d’entretenir des relations fraternelles avec les habitans du pays. A ce service d’enquête et de distribution sont préposées miss Margaret V. Stevenson, de Montréal, et miss Mary V. Peyton, de l’université de Virginie. Le service automobile est assuré pratiquement, sur les routes difficiles, par une équipe de vaillantes mécaniciennes, qui s’appellent miss Myriam Blagden et miss Barbara Allen, de New-York ; miss Rose Dolan, de Philadelphie, miss Margaret Moore, miss Mary Turmer...

Précisément, voici une de leurs autos, qui revient d’une tournée rurale, et qui s’engage dans l’allée du château. La jeune fille assise au volant de direction de la camionnette fait plaisir à voir, tant ses joues vermeilles, couleur de pomme d’api, démontrent la santé, le goût de l’action, l’ardeur à bien faire. Elle est coiffée d’un béret bleu qui la fait ressembler à quelque brave et gentil conscrit de la classe 18. Près d’elle a pris place une autre girl, vêtue de kaki. Toutes deux ont le teint avivé parle vent froid de l’hiver et par les souffles salubres de l’espace traversé à toute vitesse. J’admire, au passage, en ces deux figures pittoresques, charmantes et graves, le double symbole de cette force morale qui, chez les jeunes Américaines, résulte du bel épanouissement d’une vigueur développée,