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de pousser à un excès de scrupule l’espèce d’ascétisme et de y renoncement à soi-même qui les rendit parfois trop oublieux de leur hygiène corporelle. Ne sont-ils pas devenus, eux aussi, des gentilshommes, surtout depuis qu’ils ont défendu, avec un héroïsme qui émerveille le monde, leurs tranchées contre l’invasion, leurs sillons contre la stérilité et contre la mort, tout le domaine des ancêtres contre le péril dont ils ont assumé vaillamment, pour eux et pour leurs fils, une si large part ? Nos hôtes, nos alliés d’Amérique veulent que les enfans des paysans civilisés qui, par leur victoire de la Marne, ont sauvé les libertés universelles, puissent profiter bientôt, dans la paix victorieuse, de toutes les améliorations morales et sociales qui, sous l’influence persuasive des femmes de bien, doivent changer les conditions de la vie laborieuse et rendre plus légère l’acceptation de l’éternelle loi du travail. Telle est l’idée qui, par un irrésistible attrait, invita ces jeunes filles de Smith College à quitter leur beau parc de Northampton, à s’embarquer sur le Rochambeau, malgré la menace des sous-marins, à traverser l’Atlantique, à braver toutes les fatigues d’une longue et dangereuse navigation, pour venir ici, au secours des faibles et des affligés dont elles avaient appris là-bas, avec émotion, l’immense infortune.

Elles aiment à raconter les péripéties de ce voyage romanesque, la longue halte à Noyon, à cause d’une panne d’auto, le passage nocturne à Guiscard, où le commandant du secteur, après les avoir félicitées de leur juvénile audace, mêla toutefois quelques gronderies paternelles à l’extrême obligeance avec laquelle il s’occupa de leur faire donner une escorte et tous les moyens de locomotion dont il pouvait disposer. Un camion militaire les transporta jusqu’à leur dernière étape. Ce fut l’arrivée, en pleine nuit, dans le silence et l’ombre, au milieu des ruines. On se tira d’affaire comme on put. On se « débrouilla, » dans ce cantonnement inconfortable, à la manière du soldat français qui ne s’étonne jamais d’aucune situation, et qui trouverait moyen, le cas échéant, de dormir sur un sac de noix presque aussi bien que sur un lit déplumes.

— Nous sommes très contentes ! me dit, en souriant, miss Maria Wolfe.

Et l’une de ses compagnes insiste, d’un ton décidé :

— Ça marche !