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pauvre enfant, avec un bouton de cuivre de sa tunique[1]. » Les longues séances à l’étude, l’immobilité, le cachot, les retenues menaçantes, même la lugubre promenade hebdomadaire, en rangs, « par les rues boueuses du quartier Mouffetard » ou « aux bords fétides de la Bièvre, » sous la surveillance d’un « pion » hargneux et honni, sorte de garde-chiourme, parfois méprisé à l’égal d’un mouchard, ont laissé dans l’esprit de deux ou trois générations de lycéens une sorte d’horreur et d’épouvante. — « Ah ! que de nuits, je m’en souviens, j’ai arrosé mon dur oreiller de larmes, en songeant au logis paternel, aux bonnes caresses de ma pauvre mère, à la douce et tiède atmosphère de la chambre de la maison ! Elles étaient si froides, nos cellules, que chaque matin, pendant l’hiver, le garçon du dortoir était forcé de verser quelques gouttes d’eau chaude dans les cuvettes pour en dégeler le contenu… Chaque dimanche de sortie, lorsque revenait l’heure de quitter la maison pour regagner le collège, mon cœur se serrait d’angoisse. Quel déchirement, quelles larmes étouffées en embrassant les miens et comme elle était douloureuse la nuit qui suivait les jours de congé[2] ! » Jusqu’à l’uniforme obligatoire leur paraît humiliant et odieux comme la livrée de leur servitude : et de quoi les affuble-t-on, tous ces petits dont l’imagination captive rêve d’élégance ? En 1827, au collège Saint-Louis, cet uniforme consiste en un habit de drap bleu de roi dont les basques tombent jusqu’aux jarrets ; le pardessus, même l’hiver, est inconnu ; mais, pour les sorties, le chapeau haut de forme est de rigueur[3].

Les punitions corporelles ne sont pas abolies : on risque de se voir condamné à rester, pendant les études, à genoux, « ou à être durement frappé sur la paume de la main, avec une palette, » ce dont s’acquitte trop consciencieusement le garçon de salle préposé à cette besogne. Au collège Rollin, en 1830, on emprisonne les indociles « dans une manière de guérite d’un genre particulier : une planche vous y serre la taille et ne laisse passer par une ouverture que les bras et les mains ; ainsi supplicié, il faut écrire des centaines et des centaines de vers[4]. »

  1. Souvenirs et indiscrétions d’un disparu, par le baron de Plancy, ancien écuyer du roi Jérôme, ancien député.
  2. Henry d’Ideville, Vieilles maisons et jeunes souvenirs, p. 11,16, 19.
  3. Mémoires de Charles Bocher, I, 114.
  4. Id., ibid. I, 112-199.