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les pédagogues perdent leur temps à doser de savans programmes où toutes les connaissances humaines figurent pour une quote-part qui va s’enflant d’année en année. De nos jours, pour être un pauvre bachelier, il faut savoir le latin, le grec, l’histoire, la philosophie, la littérature, l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie plane et sphérique, la géographie, la cosmographie, la chimie et la physique : j’en oublie peut-être dont je ne sais même pas les noms. Bacheliers, mes frères, si vous n’avez pas honte, dites ce qu’il nous en reste ! On est confus, non point d’avoir appris ces belles choses, — elles n’encombrent point l’esprit, nous pouvons tous en faire serment, — mais de reconnaitre avec envie que nos pères, après quelques mois de vagabondage intellectuel, en savaient tout autant et plus que nous après dix ans de travaux forcés. Paradoxe, dira-t-on. Pourtant, leurs courtes et nomades études terminées, ils gardaient pour la vie le goût des lettres, et nous l’avons perdu. Victor de Laprade, qui devenait sanguinaire au seul mot de baccalauréat, rendait cet examen responsable de la décadence des études classiques : il assurait pouvoir suivre à la trace chez les générations soumises depuis la monarchie de Juillet à cette redoutable épreuve, l’abaissement du goût et des connaissances littéraires, assurant que l’inaptitude aux idées profondes, aux convictions sincères, marchent de pair avec l’accroissement de surface des études. « S’il ne s’agit, fulminait-il, que de mettre l’écolier en état de répondre à des questions qui exigent la maturité d’un homme ou la mémoire d’un perroquet… et de farcir une jeune cervelle d’une nomenclature de princes et de batailles, de chiffres des populations, de degrés de latitude, de produits et d’échanges, de dates de naissances et de morts, laissez grandir en paix le pauvre enfant ; vous mettrez plus tard sur sa table le dictionnaire de Douillet ou celui de Dezobry, et vous trouverez le jeune homme infaillible sur les noms, les lieux et les chiffres…[1]. » Le profane, qui ne peut, sans ridicule, s’engager dans la discussion de ces graves problèmes de pédagogie, se borne à constater que les enfans de l’ancienne École avaient la vie bien plus douce que ceux d’à présent : les nôtres passent en tunnel parmi les plus clairs et les plus frais paysages de l’existence ; il semble bien qu’ils ne

  1. Victor de Laprade, Le baccalauréat et les études classiques, p. 7, 79, 88.