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UNE ÉTOILE PASSA…

endormie. Il y avait des zeppelins dans l’air ; les projecteurs de Dunkerque, de Bergues, de Houthem fouillaient l’ombre, et leurs longs pinceaux rencontraient au passage de petits nuages surpris : les canons aboyaient comme des chiens à la lune. La foule se répandit dans la dune bleuâtre, emportant du bonheur et des souvenirs pour longtemps. La fête s’exhalait dans la nuit bienveillante. Des artilleurs anglais sifflaient Tipperary. Les danseuses, qui attendaient leur voiture sur la route, se mirent à ébaucher un pas. On les reconnut, deux ou trois lampes électriques jaillirent comme des vers luisans, et tandis que les phares cherchaient dans le ciel des monstres, nous regardions à terre, à la clarté d’autres lueurs, onduler des pieds délicats, comme la frange d’écume d’une vague phosphorescente se joue sous un rayon de l’astre de Diane.

La bande se retrouva au Quartier Général. L’Excellence s’était retirée à l’anglaise. Les comédiens étaient enchantés de leur soirée. Ils faisaient des projets, rêvaient de s’installer pour toute la saison : Sylvain parlait de donner Horace. Les dames s’empressaient autour du prince, heureuses d’être présentées à une Altesse royale, de sortir leurs révérences de cour et de balbutier : « Monseigneur !... » Lauvergeat ne quittait pas des yeux Brigett Nichol.

Elle était là, debout, dans la toilette de ville qu’elle avait en chantant, et telle que tout à l’heure en scène : immobile, répondant à peine aux flatteries et aux hommages, on aurait pu la prendre pour la plus prude des bourgeoises ; elle avait pourtant l’art de concentrer ainsi l’attention sur elle. Il y avait en elle quelque chose d’absorbant, un attrait qui faisait sentir sa présence, sans qu’elle parût prendre la peine de la faire remarquer. Vue de près, dépouillée de l’émotion musicale et de l’éclat de la rampe, sa beauté paraissait plus froide et un peu dure : l’expression surveillée, sous l’apparente nonchalance, trahissait maintenant un soupçon de vulgarité, un génie de calcul. Elle se détachait par ce trait égoïste de la troupe de ses camarades, bruyante et prompte aux effusions, et les lampes qui l’éclairaient du même jour que les autres visages dessinaient sous ses beaux cheveux sa petite tête de Poppée, la sécheresse de son front pur, la bouche capricieuse et sensuelle et le menton volontaire.

On se sépara enfin vers une heure du matin. On s’aperçut