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avait été complet. « Le Duc d’Orléans nous a tous subjugués, » mandait Guillaume de Prusse à sa sœur l’impératrice de Russie. À Vienne, des négociations s’étaient engagées en vue du mariage du prince royal avec une archiduchesse. Ce projet ne s’étant pas réalisé, il prenait pour femme, un an plus tard, la princesse Hélène de Mecklembourg Schwerin, au grand dépit de l’empereur Nicolas, qui ne comprenait pas qu’une famille régnante d’Allemagne eût consenti à s’unir à la famille de Louis-Philippe. De là, contre la France, une animosité plus grande, que personne à la Cour de Russie n’essayait de contrarier, non que le monde des courtisans nous fût hostile, mais parce que l’on était convaincu qu’on ne parviendrait pas à guérir l’Empereur de la passion haineuse qu’il nourrissait contre le successeur de Charles X.

Elle éclata sans retenue au mois de février 1848, lorsque l’Europe apprit avec autant d’émoi que de surprise la chute de Louis-Philippe et la proclamation de la République. Nicolas ne cache pas sa satisfaction. Quoiqu’il pense que la révolte d’un pays contre son souverain est d’un mauvais exemple pour les autres, il se félicite de celle des Parisiens comme de l’instrument qui vient d’abattre l’objet de son inimitié personnelle et, en vengeant Charles X, de préparer peut-être le retour de la monarchie légitime. Mais sa joie s’évanouit bientôt pour faire place aux inquiétudes qui s’emparent de lui lorsqu’il voit la Pologne s’agiter de nouveau, la Hongrie se soulever, le Piémont menacer l’Autriche, la révolution se manifester à Vienne, à Berlin, à Francfort, à Stuttgart, et mettre partout en péril le principe de la légitimité. Il supprime son ambassade de Paris en y laissant, à titre officieux, l’ambassadeur comte de Kisseleff ; il refuse de reconnaître la République en déclarant qu’il ne s’immiscera pas dans ses actes, tant que seront respectées les circonscriptions territoriales fixées par les traités de 1815. Enfin, il masse sur ses frontières occidentales une armée de quatre cent mille hommes, non qu’il redoute d’avoir à se défendre contre une agression du dehors, mais parce qu’il veut être prêt à voler au secours des souverains légitimes menacés, qui l’appelleraient à concourir à leur défense. C’est cette armée qui, l’année suivante, à la prière du jeune empereur d’Autriche, François-Joseph, portera en Hongrie le fer et le feu et y commettra, à côté des Autrichiens et dans leur intérêt, toutes les