Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grand exemple de modération, et jamais plus belle occasion ne pourra s’offrir à lui d’ajouter encore à cette réputation de sagesse et de bonté qu’il a si justement acquise. En France où tant de sympathie existe pour la Pologne, on appréciera mieux que partout ailleurs la magnanimité impériale. »

Nicolas n’était plus en état d’entendre un pareil langage ; il en faisait un grief à ceux qui le lui tenaient et les rendait responsables de l’attitude de la presse française dont les attaques virulentes déchaînaient en lui plus de colère que ne lui avait d’abord causé de satisfaction la conduite amicale et loyale du cabinet de Paris. Un moment apaisées, ses vieilles rancunes contre « le gouvernement usurpateur » renaissaient, reprenaient toute leur âpreté. Alors qu’en Pologne, les événemens auraient dû absorber ses préoccupations, les émeutes parisiennes contre lesquelles Louis Philippe, appuyé sur l’armée et la garde nationale, luttait victorieusement, lui suggéraient des remarques injustes, des critiques offensantes, des récriminations pleines d’amertume que Nesselrode, écho fidèle du maître et exécuteur servile de ses volontés, répétait à Mortemart. L’ambassadeur répliquait durement et fièrement, allant jusqu’à dire un jour à Nesselrode, qu’il serait bon que le gouvernement impérial cessât de se mêler de ce qui ne le regardait pas.

« Mais savez-vous, observa le chancelier, que depuis quelque temps, nous nous apercevons qu’on veut nous exclure tout doucement des affaires de l’Europe ?

— Comment ! s’écria Mortemart, vous ne faites que vous en apercevoir ! Eh bien ! je vous déclare que depuis fort longtemps, on trouve que vous voulez trop faire sentir partout votre influence.

— La France n’a pas eu à s’en plaindre ; l’empereur Alexandre a bien défendu ses intérêts.

— Il ne s’agit pas de ces temps-là, reprit Mortemart ; la France ne se plaint pas ; elle vous tend la main, apprécie votre amitié, désire votre alliance, mais ne veut pas qu’on se mêle de ses affaires, pas plus qu’elle ne se mêlera des vôtres et prétend, dans tous les intérêts communs, user de l’influence qui lui est due.

Ainsi le conflit entre Paris et Saint-Pétersbourg, bien qu’intermittent, ne s’apaisait pas, et la durée de l’insurrection polonaise n’était pas faite pour en atténuer la gravité.