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réputé et un écrivain original : c’est Pariset, qui fut secrétaire perpétuel de l’Académie de Médecine[1]. Un petit Malouin de la même époque a pour premiers instituteurs un maître d’écriture à perruque de matelot qui lui donne des coups de poing sur la nuque et lui fait copier continuellement deux vers de Boileau, et une vieille bonne femme qui, à grand’peine, lui apprend à lire : à part cela, il croît sans études, déboutonné, débraillé, barbouillé, égratigné, meurtri comme les polissons de la ville avec lesquels il vagabonde sur la plage. À douze ans, il est placé au petit collège d’une bourgade bretonne : il s’éprend des mathématiques, art d’agrément qu’il étudie dans sa chambre, et se passionne pour Horace. Comme ses parens veulent qu’il soit marin, on l’envoie au collège de Rennes, où il devient habile aux échecs et au billard. Le reste de son enfance et de sa jeunesse est consacré aux rêveries, aux promenades, à la chasse ; l’étang, les bois, les landes qui entourent la demeure paternelle, « voilà ses véritables maîtres. » Ainsi est élevé celui qui sera un jour René de Chateaubriand. Réfléchissant plus tard à ses débuts dans la vie, il écrira : « Telle chose que vous croyez mauvaise met en valeur les talens de votre enfant ; telle chose qui vous semble bonne étoufferait ces mêmes talens… J’ignore si l’éducation que j’ai reçue est bonne en principe… Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle a rendu mes idées moins semblables à celles des autres hommes[2]. » La diversité des intelligences et, par suite, l’extrême variété des talens, tel était le séduisant avantage de cette apparente insouciance, avantage réduit au minimum par notre égalitaire pédagogie moderne qu’un prôneur de l’ancienne tradition comparait malicieusement à la marmite des noces de Gamache : « Tout y mijote dans la même sauce, et ça ne fait pas de bon ragoût. »

Il est vrai qu’il convient de remarquer combien les débuts de l’adolescent dans la vie différaient en ce temps-là de ce qu’ils sont aujourd’hui. Le chancelier Pasquier qui a connu et comparé les deux époques, celle qui précéda la Révolution et celle de Louis-Philippe, est conduit par ce parallèle à des réflexions précieuses : après avoir reconnu que les études de son jeune temps « n’étaient pas fortes » et raconté que, ses classes vite

  1. Docteur Poumiès de la Siboulie, Souvenir d’un médecin de Paris, p. 51.
  2. Mémoires d’Outre-Tombe, édition Biré, J, 60-61.