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Il est facile de répondre à cette objection. Quels que soient les crimes qu’on puisse commettre, on ne tue pas une idée, si elle est bonne et salutaire. Au reste, un nouvel équilibre européen s’établira matériellement, comme fondement de la paix de sécurité pour les petites nationalités, décrite dans les messages du président Wilson, et cet équilibre ne saurait persister sans la coexistence d’un équilibre balkanique. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, surtout sous le soleil d’Orient. L’idée, conçue par Michel Obrénovitch, de former une confédération des États chrétiens de la péninsule, cette idée mûrie par des hommes d’État grecs, serbes et bulgares, adoptée par Ferdinand de Bulgarie lui-même, avant que les victoires de son armée ne lui eussent fait perdre la tête, réalisée un moment par les Milovanovitch, les Guéchoff, les Venizelos et les Pachitch, cette conception si rationnelle qu’elle se présente naturellement à l’esprit, paraît encore aujourd’hui la plus propre à ramener le calme et l’apaisement dans cette partie de l’Orient européen. Elle revivra sans doute un jour, quand les yeux de ces malheureuses populations s’ouvriront à l’évidence, c’est-à-dire à l’inutilité, à l’horreur des massacres, après l’effroyable expérience qu’elles en font aujourd’hui. Pourquoi les Puissances occidentales ne les aideraient-elles pas à opérer demain le rapprochement et l’union, sans lesquels il n’y aura pas entre eux de vie commune possible ? Un seul État prépondérant, mais vassal lui-même des empires du Centre, comme le serait la Bulgarie si nos ennemis gagnaient la guerre, ou bien un réel équilibre entre les divers États réunis en une sorte de société des nations balkaniques, hors de ce dilemme je ne vois pas, pour ma part, quel pourrait être l’avenir de la péninsule.

Le problème vaut d’être étudié mûrement, avant d’être soumis à la conférence de la paix. Il ne suffit pas en effet de parler de la paix en termes généraux ni d’énoncer les principes sur lesquels elle devrait reposer. Il est urgent d’envisager dès maintenant la reconstruction de l’Europe, morceau par morceau. Dans ce réajustage de matériaux, la place à réserver aux États balkaniques n’est pas la question la moins passionnante, et, parmi eux, figure en pleine lumière l’héroïque Serbie.


BEYENS.