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neutralité de l’Autriche, avait commis l’imprudence de se désintéresser de la Bosnie-Herzégovine. Le ministre autrichien sut mettre à profit l’été de 1908, en obtenant du ministre des Affaires étrangères du tsar, dans l’entrevue de Buchlau, l’assurance que la Russie ne ferait pas la guerre pour empêcher l’annexion. Lorsque, devant l’exaspération grandissante de la nation serbe et l’agitation qu’elle suscitait dans le monde slave, M. Isvolsky voulut s’interposer entre l’Autriche-Hongrie et son chétif adversaire, le baron d’Aehrenthal se douta bien que cette intervention n’irait pas plus loin que la proposition de réunir une conférence. L’idée en fut soutenue avec chaleur à Paris et à Londres. Elle ne fit que prolonger la crise, qui prit dans l’hiver de 1909 un caractère dangereux d’acuité.

S’il n’avait tenu qu’à l’état-major austro-hongrois et à la presse à sa dévotion, la monarchie dualiste aurait procédé dès ce moment-là à l’exécution de la Serbie. En relisant les articles provocateurs des revues militaires autrichiennes, parus pendant la crise, on se croit, par la grossièreté du langage et la violence des menaces, transporté quelques années plus tard, quand la presse allemande réclamait le châtiment de la malheureuse Belgique, coupable d’avoir bravé la toute-puissante Germanie,

Mais, malgré ces rodomontades, le baron d’Aehrenthal, empêtré dans l’ornière bosniaque, n’en serait peut-être pas sorti sans le secours de ses alliés. Le prince de Bulow et M. de Kiderlen, qui gérait le département des Affaires étrangères, avaient adopté jusqu’alors une attitude d’expectative, où l’on voulait voir à l’étranger qu’ils n’approuvaient pas les procédés de leur collègue autrichien. Sans doute, ne furent-ils pas fâchés de lui prouver qu’il n’était pas de taille à trancher seul d’aussi grosses difficultés. Il ne leur déplut pas aussi de river à celle occasion plus fortement que jamais l’Autriche-Hongrie à l’alliance allemande. Toujours est-il qu’il suffît à l’ambassadeur de l’empereur Guillaume de montrer au gouvernement du tsar l’Allemagne se tenant à côté de son alliée, pour qu’il reconnût l’annexion comme un fait accompli. La Russie relevait à peine des suites de la guerre japonaise et de la révolution avortée de 1905. Sa convalescence ne pouvait pas s’exposer à de nouvelles aventures.

Ce fut l’Angleterre qui se chargea de couvrir la retraite du gouvernement impérial, en stipulant pour la Serbie les