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évacuer Belgrade en 1862, et, cinq ans après, les dernières forteresses qu’ils occupaient dans le pays. Il nourrissait de grands projets : il voulait grouper tous les Serbes orthodoxes en un seul Etat et tous les peuples balkaniques dans une Confédération, pour secouer le joug de la Turquie. Les partisans des Karageorgévitch, qu’appuyait alors l’Autriche, car elle a soutenu tour à tour les deux maisons rivales, ne laissèrent pas à ce précurseur le temps d’essayer de changer le sort de la péninsule, ils l’assassinèrent à la porte de sa capitale.

Avec son neveu, Milan, s’installe à Belgrade l’influence autrichienne. Le nouveau prince régnant représente, en même temps que l’obéissance aux volontés de Vienne, l’esprit autocratique et réactionnaire de la cour des Habsbourg. Le sentiment national, le patriotisme serbe se réfugient dans les partis d’opposition, libéral et surtout radical, et dans la Skoupchtina, l’assemblée représentative, seul organe des aspirations populaires dans cette nation de paysans démocrates, égaux entre eux, où les anciens seigneurs avaient été supprimés par les pachas. L’histoire de la Serbie sous Milan et sous Alexandre est une lutte constante entre le prince et la Skoupchtina, une succession de coups d’Etat contre des constitutions passagères, une série de restaurations du pouvoir absolu finissant par des capitulations, qui ramenaient pour un temps le pays dans le sillon régulier des monarchies constitutionnelles.

La Russie n’apparaît au milieu de ces discordes intérieures que sous le visage ami d’une Puissance libératrice. En 1876, le tsar Alexandre II, par son intervention, avait sauvé la Serbie dans sa lutte inégale contre l’Empire ottoman, et la guerre russo-turque de l’année suivante avait permis à la principauté de s’ériger en royaume indépendant. La Russie a-t-elle toujours mérité la confiance que les patriotes serbes plaçaient en elle ? N’oublions pas qu’en 1903, à Murzteg, les ministres de Nicolas et de François-Joseph se partagèrent les Balkans en deux sphères d’influence et que la Serbie était rangée dans celle de l’Autriche C’est sur ce partage imprudent que la diplomatie austro-hongroise a fondé plus tard les prétentions de la monarchie des Habsbourg à l’endroit du royaume serbe. Au surplus, rien n’est plus malheureux ni plus menaçant pour l’indépendance des petites nations que l’emploi de ces mots : sphères d’influence. Ils impliquent la reconnaissance d’un droit