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bref il fut l’un des amphitryons les plus hospitaliers du palais du Pont des Chantres, tout en continuant son labeur incessant et ses pratiques de dévotion.

La grande moitié de la carrière du comte s’était passée sous les auspices de M. de Giers, ministre des Affaires étrangères de l’empereur Alexandre III. M. de Giers appréciait hautement son jeune collaborateur et n’avait pas de secrets pour lui. Lorsqu’à son tour le comte Lamsdorf devint le chef du ministère, tout le monde était sûr que le nouveau titulaire s’empresserait de reprendre les traditions de M. de Giers, qu’il en deviendrait pour ainsi dire une seconde édition.

On n’ignorait pas en Allemagne que M. de Giers, élevé cl grandi dans les traditions de Nicolas Ier et d’Alexandre II, n’avait jamais été un adepte fervent de toutes les idées politiques qui s’étaient fait jour pendant le règne d’Alexandre II. On le savait toujours soucieux de conserver les bonnes relations traditionnelles avec Berlin et d’écarter tout ce qui eût pu amener une rupture définitive. Mais on ignorait volontiers qu’en tenant cette conduite, le fidèle ministre d’Alexandre III ne se laissait diriger que par un désir sincère de conserver à sa patrie les bienfaits de la paix; que ses sympathies étaient exclusivement russes. Lorsque Caprivi fut installé à la Wilhelmstrasse et inaugura, avec l’approbation bruyante du jeune Empereur, le fameux « nouveau cours » de la politique allemande, M. de Giers comprit qu’il n’y avait plus rien de bon à attendre du côté de Berlin et adopta et traduisit dès lors très sincèrement et très fidèlement les idées de son maître sur une alliance russo-française, devant contre-balancer l’influence prépondérante de l’Allemagne et garantir la paix européenne. Peu de monde connaissait cependant les idées et la part d’action de l’ultra-modeste ministre; et M, de Giers passa à la postérité avec l’estampille d’un politique germanophile que certes il n’était pas. On attribua tout naturellement les mêmes idées au comte Lamsdorf, lorsque celui-ci fut nommé en 1900 ministre des Affaires étrangères.

Dès le début, le comte Lamsdorf devint le point de mire des assiduités et des petites attentions de Guillaume II. On voulut à Berlin voir dans sa nomination un tournant de la politique russe, on voulut user à son égard de toutes les séductions. Avec le manque de mesure et de goût qui caractérise en général