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le comte Benckendorff le contact immédiat avec le monde britannique moderne, avec sa large tolérance en matière religieuse, avec sa capacité d’évolution, avec son fier principe de Civis romanus sum, appliqué à chaque citoyen de l’Empire. La sympathie appelant la sympathie, l’ambassadeur de Russie devint vite une des figures les plus populaires de Londres. Il fut à son tour consciemment et profondément anglophile. Et dans ses dépêches, — avec sa franchise habituelle, — il ne cessait de prôner l’entente anglo-russe, sans le moindre souci de la répercussion que cette franche insistance pouvait avoir sur sa propre carrière.

A Paris le poste d’ambassadeur était occupé en ce moment par M. de Nélidoff. Je n’ai pas besoin de retracer ici le portrait politique et intellectuel de cet éminent personnage dont la figure fut pendant de longues années si bien connue et si populaire en France. Patriote ardent et personnifiant l’idéal politique du règne d’Alexandre III, M. de Nélidoff était acquis d’avance à la cause que prêchait le comte Benckendorff. Un échange de lettres entre les deux ambassadeurs et les conversations qu’ils avaient ensemble lors des fréquens voyages de « Benky » à Paris, resserraient les liens de jour en jour plus intimes entre les deux éminens diplomates. D’autre part, Nélidoff entretenait les plus cordiales relations avec M. Delcassé et ne cachait pas son approbation à la nouvelle orientation politique du gouvernement français.

En attendant, à Saint-Pétersbourg se poursuivait la partie serrée engagée par l’empereur Guillaume pour ressaisir l’influence sur la politique russe en profitant du profond mécontentement qu’avait provoqué en Russie le rôle de l’Angleterre dans le conflit russo-japonais.

A la fin du mois de juillet 190S, M. de Witte arriva à Paris en se rendant aux Etats-Unis où il devait négocier la paix avec le Japon. Avec la précision et la rudesse de langage qui lui étaient coutumières, l’ancien et omnipotent ministre des Finances ne manqua pas de développer devant M. de Nélidoff sa thèse favorite, celle de la nécessité pour la Russie d’un « nouveau cours » politique fondé sur une réconciliation complète avec l’Allemagne. La France ne devait pas en supporter les frais; au contraire Witte faisait sonner très haut l’espoir de l’attirer dans la nouvelle combinaison. Russie, Allemagne et France liguées contre