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Bjoerkoe (juillet 1905), télégrammes qui démontreraient d’une façon irréfutable qu’à cette époque Nicolas II était prêt non-seulement à trahir l’alliance française, mais même à s’unir avec Guillaume II pour employer, au besoin, les argumens extrêmes vis-à-vis du Danemark et forcer ce petit pays ami à entrer dans la combinaison des deux Empereurs, dirigée contre l’Angleterre.

Le Temps s’adressa à propos de cette publication sensationnelle à la personne la plus compétente qui pût se trouver à Paris, — à M. Isvolsky, ancien ministre des Affaires étrangères de Russie et qui fut précisément à l’époque de Bjoerkoe ministre de Russie à Copenhague. Dans une interview accordée à un rédacteur du Temps, M. Isvolsky a su mettre une juste lumière sur toute cette affaire et la réduire à ses vraies proportions.

Ayant été à même d’observer de près les péripéties et quelques-uns des acteurs de l’époque, je tiens à ajouter mes souvenirs personnels à ceux de mon éminent collègue. Ils serviront peut-être à éclairer davantage la question posée au commencement de ces pages.


I

Au centre des événemens et des combinaisons de l’époque dont nous avons à parler, il convient de placer la figure d’Edouard VII, — l’un des plus profonds politiques des temps modernes.

Depuis le commencement du XIXe siècle, la diplomatie européenne avait pris l’habitude de reconnaître l’autorité supérieure d’un des hommes politiques de l’Europe, — ministre ou souverain, — d’en faire comme le centre et le principal ressort de la politique mondiale, de reporter sur cet homme ses sympathies ou ses haines, d’écouter attentivement tout ce qui venait de lui et de tirer de ses paroles des pronostics de paix ou de guerre.

Napoléon Ier et Talleyrand, Metternich, Napoléon III, Bismark, se succédèrent à de brefs intervalles dans ce rôle de pivots politiques de l’Europe. Puis la forte personnalité de l’empereur Alexandre III attira peu à peu les regards du monde; et lorsqu’en octobre 1894 le Tsar s’éteignit si prématurément à Livadia, sa mort fut sincèrement pleurée non seulement