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On ne saurait séparer Fouillée de Guyau. Il y aurait quelque injustice à juger ce dernier sur ses deux ouvrages qui ont eu lo plus de succès, l’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction et l’Irréligion de l’avenir, et par lesquels il se rattache à la génération précédente. Poète autant que philosophe, mort trop jeune pour avoir pu dégager pleinement son originalité, Guyau a parsemé tous ses livres de vues profondes et neuves sur le problème de l’art, sur le problème de la vie, sur celui du temps, vues qu’il n’a pas toujours coordonnées en système, mais qui seront reprises et développées, les unes par Nietzsche, les autres par M. Bergson, et qui, grâce à eux, uniront par former partie intégrante des conceptions toutes contemporaines.

Néo kantien comme M. Lachelier, mais avec une nuance très accentuée de protestantisme.et même d’anti-catholicisme, Renouvier a formulé contre le scientisme de très fortes objections. « Veut-on, écrivait-il, dès 1859, remplacer les hiérarchies politiques et religieuses par un sacerdoce de faux savans, les superstitions par les démonstrations vicieuses, le fanatisme de la foi qui s’avoue par celui de la science usurpée, enfin la la vérité modeste, partielle, mais pure, que la liberté accompagne, par un système d’erreurs intolérantes, composition hybride où la science et la religion se pervertissent à la fois dans un mélange répugnant ? » Tout savant qu’il soit, il ne croit pas à la « Science; » il nie la réalité de cette abstraction; il ne connaît que des sciences particulières. En revanche, il croit passionnément à la liberté, fondement à ses yeux de toute moralité, et les théories déterministes n’ont guère eu, en ce dernier demi-siècle, d’adversaire plus résolu.

Au protestant Renouvier s’oppose tout naturellement le catholique Ollé-Laprune Très épris de moralité lui aussi, mais non moins épris de certitude, il tenait très fortement, comme disait Bossuet, « les deux bouts de la chaîne, » et il s’efforçait de les rejoindre l’un à l’autre. C’était essentiellement une âme harmonieuse, et qui, en toutes choses, était plus frappée de l’harmonie que des contrastes ou des contradictions. Nourri d’Aristote et des scolastiques, disciple de Caro et du P. Gratry, il professait que la raison conduit spontanément à la foi, que la philosophie achemine au dogme. Mais il voulait que la raison ne se mutilât pas elle-même, qu’à côté de la certitude scientifique, elle reconnût les droits de la certitude morale, et que, ne