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si Molière lui-même les entendait, il serait obligé, après avoir ri beaucoup de l’anatomie bizarre de leurs syllabes assemblées, de convenir que ces néologismes ont une certaine valeur abréviative qui dispense des périphrases. Et puis comment pourrait-on se formaliser, en présence des phénomènes nouveaux dont la science découvre sans cesse l’existence, qu’il faille des mots nouveaux pour les nommer, alors que tant de mots anciens désignent des choses qui n’existent pas !

Dans ce qui précède, nous avons décrit sommairement l’évolution microscopique spontanée d’une plaie de guerre normale. Mais il se peut qu’arrivés au stade où nous nous sommes arrêtés en dernier lieu, la plaie n’évolue pas vers la guérison, et que par suite de la virulence des germes pathogènes et de la faiblesse des moyens de résistance du sujet, la défense succombe devant les microbes assaillans. L’infection a tendance alors à dépasser les régions lésées, à atteindre les régions voisines et même à les dépasser pour atteindre l’individu tout entier. C’est alors le navrant défilé des complications infectieuses, la gangrène gazeuse, l’empoisonnement total par les toxines que charrie le réseau sanguin et qui provient tant des germes pathogènes eux-mêmes que de la décomposition des tissus désintégrés et putréfiés. Bien d’autres complications et dégénérescences surviennent alors qui amènent souvent la mort ; ou du moins, la guérison est alors beaucoup plus difficile, de même qu’un peuple envahi souffre plus de la guerre et a plus de peine à puiser en lui-même les ressources nécessaires pour battre l’ennemi qu’un peuple qui ne l’est pas.

Telle peut être l’évolution de la plaie de guerre évoluant spontanément dans un sujet en état de résistance forcément diminuée par le choc et par les fatigues.

Le rôle essentiel de la chirurgie de guerre est ou du moins doit être de contrecarrer cette évolution et de la diriger dans le sens précédemment indiqué, où la défense leucocytaire jugule l’attaque microbienne, puis de favoriser le stade de reconstitution des tissus. Comment la chirurgie a-t-elle appris à s’acquitter de ce rôle ? C’est ce qui nous reste à examiner.


CHARLES NORDMANN.