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leur irrigation sanguine. Mais, chose curieuse, pendant plusieurs heures ces élémens conservent leur aspect habituel et il ne se passe rien. — On aurait pu croire que les germes infectieux devaient attaquer immédiatement, sans délai et sans répit, les tissus meurtris par le projectile qui, nouveau cheval de Troie, les a introduits subrepticement dans la citadelle. Il n’en est rien. Les deux camps semblent s’observer. Il y a là une période d’activité latente et invisible, comme si dans la guerre des microbes contre les tissus et leurs défenseurs, les phagocytes, les premiers restaient d’abord à l’affût et mobilisaient en quelque sorte leurs ressources avant d’assaillir l’adversaire, tandis que celui-ci prépare sa défense. On dirait que les microbes pathogènes ont appris depuis longtemps — bien avant nos stratèges — que toute attaque doit être précédée d’une préparation. Tout ceci a lieu avant la cinquième heure qui a suivi le traumatisme.

Puis la situation se modifie. Ces élémens cellulaires qui ont été meurtris et qui ont perdu leurs connexions vasculaires et humorales physiologiques, c’est-à-dire qui sont séparés de leur ravitaillement, se mortifient bientôt. Au microscope on voit alors les microbes, notamment le B. perfringens et le B. capsulatus aerogenes — puisqu’il faut les appeler par leur nom — sortir de leurs repaires, j’allais dire de leurs tranchées, et commencer à se multiplier dans le caillot. C’est qu’ils trouvent un milieu de culture extrêmement favorable à leur prolifération dans les albumines qui résultent de la décomposition des tissus cellulaires mortifiés. Il convient à ce propos de remarquer qu’il y a ici une grande différence entre la guerre des infiniment petits et celle de ces êtres qui ne sont pas infiniment grands, les hommes : ce n’est pas dans des dépôts, dans des réserves stratégiques que les microbes recrutent des combattans supplémentaires, c’est sur place, en plein champ de bataille, par l’enfantement continuel de nouveaux guerriers ; ici, lorsque la lutte se développe librement, le nombre des naissances dépasse singulièrement celui des morts. Ce sont là des choses qui différencient les microbes des hommes beaucoup plus que ne fait leur importance relative dans l’univers stellaire.

A ce déclenchement de l’attaque ennemie répond alors une réaction de défense de l’organisme, un tir de barrage contre les microbes ennemis, une contre-attaque, que constitue un afflux de globules blancs. Ces bons microbes, qu’on appelle aussi des leucocytes, ou, comme disait Metchnikoff, des phagocytes, — le nom ne fait rien à l’affaire, — et que l’organisme avait, dès le temps de paix, c’est-à-dire avant toute blessure, mobilisés en grand nombre dans le réseau