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mais ne s’imposa pas sans luttes. Un jeune chirurgien, épris du progrès et conquis par ce qu’il avait vu chez Lister à Edimbourg, Lucas-Championnière, essaya de réaliser sa méthode à Paris. Sans relâche, il lutta pour la faire connaître. On aura une idée des difficultés qu’il eut à surmonter en se rappelant qu’un professeur de la Faculté de Paris — d’ailleurs bon chirurgien, quoique misonéiste, — disait qu’on devrait poursuivre en cour d’assises cet homme assez audacieux pour tenter la cure chirurgicale des hernies, tant était grave alors, sans l’antisepsie, toute intervention opératoire.

Peu à peu l’antisepsie s’imposa. Elle régna en souveraine maîtresse en chirurgie. Puis, sous l’influence des recherches scientifiques et par la marche du progrès, à l’antisepsie qui emploie des procédés chimiques — non sans quelques inconvénients parfois, — succéda, grâce à Terrier et à son école, l’asepsie, qui use de procédés d’ordre physique et mécanique et qui se borne à toucher le moins possible aux plaies en évitant de les infecter, qui en un mot est défensive plutôt qu’offensive.

Dans la pratique d’avant-guerre, les chirurgiens vivaient donc sur la doctrine d’asepsie, ne soupçonnant pas que la guerre nous ramènerait à foison les terribles complications des plaies qu’avaient connues leurs prédécesseurs. Sans doute quelques clairvoyans, au premier rang desquels se trouvait Lucas-Championnière, n’oubliaient pas que si l’ère antiseptique avait quasi fait disparaître ces accidens anciens, au point que les nouvelles générations médicales ne les connaissaient plus, il était à prévoir qu’elles renaîtraient avec la guerre, dont chacun sentait l’imminence.

Multa renascentur quæ jam cecidere.

Mais Championnière n’était pas écouté... ou guère, et nous vivions avant 1914. dans le dogme très consolateur — trop — de l’abstention au point de vue du traitement des plaies de guerre. On pensait et on enseignait qu’avec la vitesse considérable des nouveaux projectiles, avec leur force de pénétration, ceux-ci seraient en quelque sorte aseptiques et que la chirurgie de guerre serait essentiellement conservatrice. La chirurgie mutilatrice, disait-on, a vécu. Cette doctrine s’est d’ailleurs trouvée assez souvent exacte pour les balles reçues de plein fouet à longue distance, et qui rendues antiseptiques par la haute température que produit le frottement dans l’air, traversent d’autre part l’étoffe sans l’entraîner à cause de leur mince forme arrondie.

On n’a pas oublié, dans les milieux militaires, les sensationnels