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LA HAUSSE DES PRIX ET LE SORT DES PAUVRES

Nous savons fort bien qu’aux yeux des partisans de la taxation, il est nécessaire de s’opposer à la hausse des denrées pour épargner aux pauvres toutes les souffrances qu’entraîne la cherté des alimens. Cette préoccupation généreuse fait honneur à de bons Français, mais il s’agit, en fait, de savoir si l’on vient réellement au secours des déshérités en multipliant des taxes qui doivent décourager l’agriculteur et provoquer la disette.

Ne serait-il pas, en vérité, plus expédient et plus sage, ne serait-il pas moins coûteux de secourir les pauvres avec discernement plutôt que de ruiner tout le monde et de réduire la production agricole au moment où nous avons précisément besoin de l’assurer, sinon de la développer ? Tout est là.

Nous pensons qu’on exagère trop volontiers le nombre des personnes que la taxation doit protéger contre la misère. Quelques renseignemens précis à cet égard sont donc indispensables, et nous montrerons du même coup que les dépenses à prévoir pour secourir les plus pauvres ne sont pas aussi considérables qu’on pourrait le supposer et qu’on le croit effectivement.

Une première remarque s’impose. La plupart des agriculteurs ne sont pas le moins du monde protégés par la taxation des denrées alimentaires, bien au contraire, et le sacrifice qu’ils subissent est largement supérieur à celui qu’on leur épargne.

Comme le cultivateur produit, en effet, non pas toutes les denrées, mais la plupart des denrées qu’il consomme, la cherté ne lui cause aucune gêne intolérable. En lui permettant de réaliser des profits normaux correspondant aux recettes basées sur des prix librement débattus, on améliore même sa situation, bien loin de la rendre plus douloureuse ou plus misérable. C’est l’évidence même.

Les salariés de l’agriculture constituent, d’autre part, deux groupes distincts, celui des domestiques nourris, logés à la ferme, et celui des journaliers qui ne prennent généralement qu’un repas à l’exploitation rurale. Visiblement, le premier groupe ne souffre nullement de la cherté des vivres, pas plus que tous les domestiques quels qu’ils soient, et le second ne