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interdit d’aller plus loin que cette ligne. Il est vrai qu’il a réussi à retarder notre avance. Mais le temps ne fait rien à l’affaire : il y a dans la situation qui vient d’être créée des conséquences fatales qu’aucune controverse n’empêchera de se dérouler.

Ce n’est pourtant là encore que le petit côté de l’affaire. Pour en comprendre toute l’importance, il faut savoir ce qu’il en coûte à l’armée allemande et de quels prodigieux sacrifices l’ennemi a payé la perte de ses lignes.

On a vu que les Allemands, au commencement de la bataille, avaient sur le front occidental 147 divisions ; dès le début de mai ce nombre était élevé à 156, sur un total de 234, c’est-à-dire que l’ennemi nous opposait les deux tiers de l’ensemble de ses forces, le front oriental absorbant le dernier tiers. Ce chiffre n’a pas été sensiblement diminué.

De ces 156 divisions l’ennemi, dans le premier mois de la bataille, s’est vu contraint d’en engager 87, et dans le second 25 autres, ce qui forme pour cette période un total de 112 divisions engagées. 23 ont subi le feu deux fois. — Un an de Verdun n’avait coulé que 56 divisions. Six mois de la Somme en ont coûté 96. L’usure résultant de la dernière bataille est donc environ double de ce qu’elle a été dans les batailles passées [1] ; et comme on sait que l’effet des pertes est fonction de la rapidité et qu’elles sont d’autant plus graves qu’elles se précipitent en moins de temps, on peut dire que jamais l’Allemagne n’avait, au cours de la guerre, subi plus effroyable et plus mortelle saignée.

Le jeu des relèves, la manière dont l’ennemi engage ses forces dans le combat ne sont pas moins instructifs. A la date du 1er avril, les Allemands disposaient en arrière du front d’une réserve d’environ 40 divisions reposées ; 9 autres étaient en route pour se joindre aux premières : c’était une masse fraîche de plus de 50 divisions, soit le tiers des forces totales sur le front occidental.

Dès la fin d’avril, toute cette réserve a été absorbée. Il faut alors puiser dans les secteurs tranquilles comme dans un

  1. Le tableau suivant est très clair. On compte le nombre de relèves ou de passages de divisions : ¬¬¬
    Septembre-Octobre 1916 (2 mois). 1917 (9 avril 8 mai).
    Verdun 18 divisions Artois 43 divisions
    Somme 82 — Aisne-Champagne 60 —
    Total 100 Total 103