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dira-t-on » et de sa liberté d’esprit au sujet des sacrifices de terrain.

Mais il n’en allait pas de même cette fois. Jamais il ne s’est agi d’un repli sur les positions que nous venons de conquérir. Ces positions étaient le pivot de la manœuvre d’Hindenburg : la sécurité de la manœuvre reposait tout entière sur la solidité du pivot. Ce n’est pas tout : c’étaient ces falaises dominantes, ces situations de crêtes et de hauteurs dont l’armée allemande a, dès le premier jour, su s’assurer la possession. L’immense falaise du Chemin des Dames, qui court tout le long de la vallée de l’Aisne comme la muraille de quelque citadelle géante, commande toute la contrée de Soissons jusqu’à Reims ; c’est à ce butoir que se heurta notre poursuite après la Marne. Là, dans les durs combats d’octobre 1914, s’étaient brisés tous nos efforts pour escalader cette muraille ; là s’était produite la grande poussée allemande de janvier 1915, pour nous refouler au Sud de l’Aisne. De là-haut l’ennemi voyait tout à la ronde. Pas un de nos mouvemens ne lui échappait, et il nous cachait tous les siens à la faveur du couloir de l’Ailette. La crête de Vimy jouait le même rôle devant les plaines de Picardie, et le massif de Moronvilliers devant celles de Champagne. C’était le théâtre de nos offensives de mai 1915 en direction de Lens, et de celle de septembre pour culbuter l’ennemi dans la vallée de la Suippe. Dans toutes ces batailles, il avait réussi à garder les hauteurs. Aucun effort n’était parvenu à l’en déloger. Il songeait moins que jamais à les abandonner : qui a les vues, tient le pays. Il en était le maître soit pour la défensive, soit pour tout autre dessein qu’il pourrait méditer. On voit toutes les raisons qu’il avait de tenir à cette ligne. Il venait de la renforcer encore d’après les dernières recettes du système Hindenburg : c’était le nec plus ultra de la fortification. Cette ligne est maintenant tout entière entre nos mains. La situation est retournée : c’est nous qui voyons chez l’Allemand comme il voyait chez nous. Toute la ceinture d’observatoires qui lui servait à surveiller chacun de nos mouvemens, à régler le tir de ses canons, à deviner nos gestes, à préparer ses plans, lui échappe : nous lisons dans son jeu comme il lisait dans le nôtre. Il perd sa base d’opérations. Il faut qu’il reprenne celle-là ou qu’il en cherche une nouvelle quelque part en arrière. Il se prévaut, en attendant, de nous avoir