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restez sans nouvelles pendant plus de trois semaines, c’est que je serai mort ou prisonnier. Nous avons tous fait notre testament. » (D’un homme du 10e grenadiers de la Garde, Falaise de Vimy.)


Ce sont des pensées du même genre qui peuplent chaque souterrain, rampent au fond des « caves à héros » (Heldenkeller) où les troupes entassées, secouées par les coups sourds des grosses explosions qui agitent la terre jusqu’aux entrailles, croient attendre leur dernier jour :


« 16 avril. Je suis encore en bonne santé, mais notre secteur si tranquille est devenu un véritable enfer. Si nous devons rester longtemps là-dedans, nous deviendrons tous fous. Que penses-tu d’une faix séparée avec la Russie ? » (D’un homme du 201e de réserve, sur l’Aisne.)


Le ravitaillement n’arrive plus :


« Je commence à en avoir assez. Et je n’ai plus de vivres de réserve. Il me reste quelques boîtes de conserves. Aujourd’hui, j’ai distribué une boîte pour trois hommes, ils ne pourront pourtant pas tenir toute une journée avec ça, et moi encore moins que les autres. F... non plus n’a aucune idée de relève. D’ailleurs je crois que nous sommes ici jusqu’au jour du départ pour Paris. Je m’exerce consciencieusement : « Pardon, monsieur ! » et haut les mains. Je n’y arrive déjà pas trop mal. » (Sans origine, front de l’Aisne.)


Le carnet d’un sous-officier du 202e de réserve (43e division de réserve) nous dépeint l’existence aux alentours du fort de Brimont :


« 9 avril, lundi. Activité d’artillerie particulièrement grande.

« 10 avril, mardi. Encore et toujours, sans arrêt, violente canonnade. A 2 à 30, après-midi, alerte aux gaz. Au même moment, des hommes arrivent du fort de Brimont ; celui-ci est soumis à un bombardement de grosses pièces ; il y a cent hommes enterrés. Le reste s’est enfui dans les bois. Je me demande avec angoisse ce que sont devenus MM. les officiers. A 3 h. 10 précises, nous recevons des marmites de 380 ; cela dure jusqu’à 6 h. 30. Tous les accès du fort sont obstrués ; il ne reste que le passage par-dessus les remparts. On ne peut peindre réellement l’horreur de ces scènes souterraines. A chaque instant, il faut s’attendre à être enseveli. A 1 h. 10 du matin, ordre d’alerte renforcée. »