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Reste une dernière hypothèse, fort différente des précédentes, plus fine et peut-être plus profonde. C’est que toutes ces idées d’offensive, tous ces développemens complaisans des journaux sur le « fier privilège de l’initiative, » n’étaient peut-être autre chose qu’un bluff destiné à amuser les badauds d’Allemagne en les entretenant dans leurs illusions favorites, et à inquiéter les Alliés en leur présentant de tous côtés de vagues épouvantails, tandis que le commandement, persuadé de la frivolité de toute entreprise de « percée, » serait bien résolu à ne plus rien tenter de ce genre pour son compte, et à en faire passer l’envie à qui viendrait le provoquer. En somme, dans cette opinion, Hindenburg serait un vieux malin qui cacherait son jeu et, sous des airs de matamore, se contenterait de demeurer prudemment sur l’expectative... Il va sans dire que cette opinion, si elle est exacte, équivaut à un aveu de défaite. Quand on se rappelle tout ce qu’on sait et tout ce qu’a écrit l’état-major allemand sur la valeur « en soi » et le mérite absolu de toute solution offensive, quand on se souvient de ses premières ambitions et de ses premières assurances, on est forcé de convenir que, pour ‘en arriver là, il faut qu’il y ait dans la machine militaire allemande quelque chose qui ne va plus, et qu’une pareille démission de l’armée est ce qu’on peut imaginer pour elle de plus accablant.

Quoi qu’il en soit de ces conjectures, une chose est certaine : c’est que l’Allemagne se livrait à un fiévreux travail d’organisation militaire. Elle trouvait le moyen d’accroître son armée. Les dépôts, qui étaient à sec au mois de novembre, regorgent de nouveau. Elle porte à 234 le nombre de ses divisions. (L’armée du temps de paix en comprenait 50.) Elle vient d’en créer treize et se prépare activement à en forger huit ou dix autres. Ce que signifie d’ordinaire ce genre d’accroissemens, il suffit de consulter les dates pour le comprendre. Chacun d’eux correspond à l’une des entreprises allemandes et a pour raison d’être une de ces campagnes dont l’Empire a tour à tour attendu la victoire. On ferait l’histoire de la guerre par cette étude technique des transformations de l’armée.

Chacune de ces « époques » répond à un dessein de manœuvre défini, campagne de l’Yser, campagne contre la Russie ou contre la Roumanie, — et chaque accroissement de forces s’explique par les besoins de cette manœuvre. Qui dit