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tout de suite à écarter, c’est l’idée d’un retour offensif sur le terrain de la retraite, et qui nous y bousculerait avant de nous laisser le temps de nous installer : s’il voulait manœuvrer par là, Hindenburg n’eût pas commencé par dévaster le pays et par couper les routes. Il est clair qu’un pareil « glacis » n’a qu’un sens défensif. Certains, se souvenant qu’Hindenburg est l’homme du front oriental, où il a remporté les plus beaux de ses succès, ne doutaient pas qu’il ne portât ses premiers coups contre la Russie ; mais on répondait qu’il pouvait s’en épargner la peine : il n’avait, en effet, qu’à laisser faire les démagogues ; ils auraient vite achevé de décomposer l’armée, et il aurait alors bon marché de la Russie. En attendant, la Révolution le laissait tranquille de ce côté. D’autres rappelaient que la méthode allemande est de tomber avec toutes ses forces sur l’adversaire le plus faible, et montraient l’Italie comme la victime désignée de la prochaine exécution.

Enfin, les derniers soutenaient comme la plus vraisemblable l’hypothèse d’une nouvelle offensive sur le front occidental ; là se trouve l’adversaire principal, le plus fort et le plus détesté. Après la manœuvre de mars et le « refus du centre, » ils attendaient, comme conclusion, quelque vaste tentative d’enveloppement par les ailes, le gros de l’effort se portant surtout à l’aile droite, avec Calais pour objectif, c’est-à-dire les bases navales de l’Angleterre ; à moins qu’ajournant cette manœuvre, Hindenburg s’enfermât sur terre dans une attitude défensive, mais tout en dessinant par mer une menace d’investissement de plus grande envergure encore, agissant par ses sous-marins sur les communications de l’ennemi, pesant sur les artères qui lui apportent la subsistance [1]. La marine, dans ce système, était une nouvelle armée, une sorte de bras immense ajouté à l’armée de terre et prolongeant sa droite à travers l’Océan, jetant ses tentacules autour de l’Angleterre, lui suçant le sang avec la vie. C’est en ce sens que l’Allemagne peut dire que le temps, qui travaillait pour les Alliés, travaille maintenant pour elle. Ainsi s’articulaient les pièces du mécanisme géant, la retraite de l’armée et l’offensive de la flotte, jusqu’au moment où, l’heure venue, et l’Angleterre haletante, épuisée par la guerre navale, il suffirait d’un seul assaut pour lui donner le coup de grâce.

  1. Frankfürter Zeitung 14 avril.