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c’était cette péripétie qui retournait la situation, et grâce à quoi l’homme assailli, déjà pris à la gorge, se dérobe à l’étreinte et reprend son indépendance. C’est lui qui maintenant traîne l’ennemi à sa remorque et l’oblige à le suivre [1]. Il bouscule ses plans, le déroute et le place en présence d’une énigme [2]. Mieux encore : parce magnifique « décrochage, » le vieux maître inaugure une ère nouvelle de la guerre. « L’Histoire, écrit Salzmann, enregistrera un jour comme un fait capital le chef-d’œuvre d’intelligence qui préside à la création de la situation présente [3]. » La guerre, en effet, immobile depuis deux ans, figée sur place dans les tranchées, avait pris une forme stationnaire dont aucun effort des deux partis n’avait réussi à la tirer. Tout le monde avait fini par accepter cette formule comme la condition fatale et le dernier mot de la guerre moderne. O miracle ! Hindenburg parait et le charme est rompu. « La pensée a repris ses droits sur la matière [4]. » Puissance de l’idée [5]! Il suffit au grand homme d’un acte de sa volonté : aussitôt le front s’ébranle, et voilà restitués à ces masses inertes le mouvement et la vie. La rigueur des fronts défensifs se transforme en souplesse, l’ankylose en élasticité. La guerre, si longtemps pétrifiée, retrouve la flexibilité des lignes, l’espace, la manœuvre, la jeunesse. Il n’a fallu pour cela que le souffle du génie !

Ainsi, nos projets bouleversés ; nos préparatifs rendus vains ; l’initiative des batailles arrachée à l’Entente et l’Allemagne maîtresse de la conduite de la guerre ; l’engourdissement des tranchées, la longue stagnation des affaires rompue par une solution grandiose, et le champ infini des surprises et de la manœuvre ouvert devant l’armée allemande : qu’était-ce, au prix de tout cela, que la frange de terrain qu’on abandonnait à l’ennemi ? Du reste, on s’y prenait de façon à ne pas lui en rendre la possession agréable...

Enfin, Hindenburg gagne du temps. Moraht, l’oracle militaire du Berliner Tageblatt, écrit le 5 avril : « Dans le camp ennemi, les critiques compétens admettent une perte de temps

  1. Lokal Anzeiger, 14 mars.
  2. Ibid.
  3. Vossische Zeitung, 24 mars.
  4. Kolnische Zeitung, 17 mars.
  5. Frankfürter Zeitung, 19 mars.