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— 70 000 prisonniers, 304 canons captures, Verdun sauvé, — nous avions imprimé à l’Allemagne le sentiment d’un ascendant dont ce n’est pas trop de dire qu’elle en a conservé l’épouvante. Cette bataille a mis son armée à une épreuve telle qu’elle ne s’est plus senti la force d’en affronter une seconde. Si à Verdun elle a engagé en un an 56 divisions, elle a dû sur la Somme, entre le 1er juillet et le 31 octobre, en consommer 90, dont 25 sont retournées au feu deux et trois fois. Une instruction de la VIIe armée nous met dans le secret des angoisses du commandement, quand il s’agit de faire face à cette effroyable usure : où trouver des ressources pour continuer la lutte ? « Que valent encore vos troupes ? demande ce précieux questionnaire. Critérium unique : sont-elles capables de servir sur le front de la Somme ? Et, comme toutes celles de l’armée y ont déjà passé, dans quelle mesure se sont effacées les impressions de ces combats ? Dans quelle mesure les pertes ont-elles été comblées ? (Prière d’éviter l’expression : Division épuisée.) Quel est le degré d’instruction de vos recrues ? Ne pas rechercher la perfection ; ne pas exiger l’impossible. On ne fait pas les difficiles dans les circonstances urgentes [1]. »

Voilà à quelle nécessité le commandement allemand se trouve réduit dès le mois de novembre. Il savait que l’hiver n’apporterait qu’une trêve et ne ferait qu’accroître les forces de l’Alliance. Alors, devant l’offensive imminente de celle-ci, il ne restait plus qu’une parade, puisque l’autre, la parade de la paix préventive, avait échoué en décembre : c’était de rompre avant l’attaque et de refuser, dans ces conditions, une nouvelle bataille. L’appréhension d’un désastre, retardé plutôt que conjuré au cours de l’été précédent, dictait à Hindenburg l’ordre de la retraite. C’était, à six mois d’intervalle, la conséquence de la longue pression antérieure. La volonté allemande cédait à notre volonté.

Tel est le fait. Comment le faire passer pour un succès ?

II s’agissait de prouver :

1° Que la retraite ruinait nos projets d’offensive.

2° Qu’elle rendait à l’armée une liberté d’action dont nous ne tarderions pas à ne plus nous louer.

Ces deux articles constituent le sens de la « manœuvre. »

  1. 16 novembre 1916. Le document est reproduit in extenso dans la Revue de Paris du 1er juillet 1917, p. 70.