Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/888

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

profondeur qui passait par endroits trente-cinq kilomètres, trois mille kilomètres carrés de territoire, trois cents villages, des villes, Péronne, Bapaume, Chauny, Guiscard, Nesle, Roye, Ham, Noyon, nous étaient subitement rendus. C’était une province, un grand lambeau de France prisonnière qui échappait à l’invasion, revenait à nous en trois jours.

On se rappelle l’état de fièvre que cette suite d’événemens créa dans le public. Chose curieuse : en Allemagne, ce déconcertant recul était également célébré à l’envi d’une victoire. Toutes les voix de la presse entonnent un chœur unanime à la gloire d’Hindenburg. Ce n’est plus un recul, c’est le « génial » repli. Le héros national nous eût-il pris autant de villes qu’il venait d’en perdre en un moment, il n’eût pas reçu plus de couronnes ou plus d’acclamations. Cette retraite prenait tournure de triomphe. L’Empereur approuvait. Jamais on n’avait vu retraiter une armée, ni perdre une conquête avec plus de satisfaction.

Sans doute, tout le monde n’était pas dupe. L’opinion allemande, si disciplinée qu’elle fût, ne pouvait s’empêcher de trahir son émotion. On avait beau administrer des formules calmantes : « Ne jamais considérer aucun détail isolément... Tout fait partie d’un tout... Tout se tient... » il est clair que beaucoup s’alarmaient de ce » détail. » Que devenait la « carte de la guerre ? » Dans cette Allemagne pareille à « un grand bazar vide, » déjà tant de fois trompée sur l’époque de la victoire et la date de la paix, les bulletins de Ludendorff sur le « repli volontaire » devaient être accueillis avec une nuance de doute et de découragement.

Il était vrai pourtant que le principe d’un repli avait été, depuis quelque temps, un des partis envisagés par le commandement allemand. Il était question d’un « raccourcissement du front » qui devait libérer des forces pour un grand coup. L’idée semble contemporaine de la bataille de la Somme. Cette grande bataille, peu comprise chez nous, n’en a pas moins eu une portée qu’on serait aveugle de ne point voir. Nous avons hésité à y reconnaître une victoire ; l’ennemi en a mieux jugé : il y a pris la conscience terrible de notre supériorité. Il a pu réussir, à grand’peine, à sauver la face et à éviter la débâcle ; il s’est défendu pied à pied et n’a cédé de terrain qu’à la dernière extrémité. Mais, sans parler d’autres résultats assez considérables