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déchirent les oreilles. Vers onze heures, pendant une accalmie, je monte au grenier : on distingue cinq ou six grands foyers d’incendie. Dix minutes ne se sont pas écoulées, que de nouveaux éclatemens tout proches m’avertissent que l’arrosage n’est pas terminé. A la cave où je redescends, les dames, accourues dans cet abri et installées au petit bonheur sur des chaises, des bancs, des madriers, grelottent de froid. L’énervement chez chacune d’elles se traduit de manière différente. Mademoiselle P... rit d’un rire nerveux et continu qui fait peine à entendre ; mademoiselle C... parle sans cesse comme pour s’étourdir et se donner du ton et madame T... à chaque sifflement rapproché crie affolée : « Encore une ! » Les obus tombent en avant, en arrière, dans le canal, dans les champs où souvent ils n’éclatent pas, sur les maisons voisines où ils font un bruit d’enfer, au loin, sur le centre, partout. Enfin, deux heures et demie, puis trois heures arrivent et, transis de froid autant que rompus de fatigue nous remontons nous coucher. Mais, malgré l’accablante lassitude, comment dormir après de pareilles secousses ?

Ce matin, on m’affirme qu’il ne serait pas tombé moins de 3 à 4 000 obus sur Reims. Pas un quartier n’a été épargné, mais c’est surtout la rue de Vesles qui a été atteinte. Il y aurait en ville beaucoup de victimes : Rue de l’Etape, deux femmes ont été ensevelies sous les décombres de leur maison et les pompiers qui, trop peu nombreux, ont vainement essayé toute la nuit d’éteindre les incendies viennent de partir pour délivrer les emmurées. Il serait tombé des obus jusqu’à la Haubette qu’on croyait hors de la portée des canons-ennemis et le faubourg de Paris a eu largement son compte.

Afin que les élèves puissent se remettre de leurs émotions, e viens de fermer toutes les écoles pour une durée de trois ours. L’effroi ressenti par la population a été si grand que es départs se multiplient dans des proportions considérables ; jamais Reims n’avait subi pareil « arrosage. »

Mardi 2 mars. — Le bombardement a recommencé hier soir et duré toute la nuit. Vers six heures d’abord, sont tombés quelques obus, puis à partir de neuf heures ils nous arrivèrent par rafales. J’ai constaté trois grands foyers d’incendie illuminant toute la ville ; dans la nuit noire c’était sinistre et grandiose, cela rappelait l’effroyable incendie de la cathédrale.