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des ruines, tenant à se rendre compte des effets du bombardement d’hier, regardant les cartes postales récentes qui répandront à travers le monde l’image des atrocités chaque jour renouvelées et chaque jour plus terribles de la « kultur allemande. » La ville, quoiqu’au tiers détruite, et où des tas de décombres soigneusement alignés devant les maisons atteintes, rappellent au promeneur les effets des obus de tous calibres, est toujours propre, et le visiteur n’est pas peu surpris de trouver les rues aussi bien entretenues qu’avant la guerre. — C’est qu’un avis de la municipalité, daté du 14 octobre 1914, ordonne de nettoyer les trottoirs et la chaussée « aussitôt la chute des obus, » et que le service de la voirie continue à être très bien fait. Ajoutez que le ravitaillement est assuré avec une régularité parfaite, grâce à la prévoyance de la municipalité qui fait emmagasiner chaque jour de grandes quantités de farine. La longue théorie des voitures chargées de sacs défile l’après-midi, à travers le faubourg de Paris, allant porter dans des écoles désaffectées toutes ces réserves qui suffiraient à soutenir un siège de plusieurs mois. Les mêmes mesures sont prises pour le charbon et pour toutes les denrées de première nécessité.

...Au coin du pont de Vesles, un vieux bonhomme qu’aucun bombardement n’effraye, sans doute parce qu’il porte le ruban de chevalier de la Légion d’honneur, tient crânement sous le bras son carton à journaux, criant à tue-tête : « Demandez l’Éclaireur de l’Est, aujourd’hui quatre pages. » Les deux journaux locaux ne tirent d’ordinaire que sur deux pages, qui suffisent amplement pour enregistrer la chronique locale peu riche en événemens variés...

Lundi 22. — Quelle nuit affreuse ! Il faisait, hier dimanche, un temps magnifique : gai soleil, température douce, et calme absolu ; tout Reims était dehors. Le soir, à huit heures cinquante-cinq, un sifflement sinistre se fait entendre suivi d’un éclatement tout proche ; presque aussitôt d’autres sifflemens et éclatemens se produisent, puis d’autres et d’autres encore sans arrêt. Rapidement, tout le monde descend à la cave, où bientôt des voisins viennent nous rejoindre. Nous restons là jusqu’à deux heures vingt. Dehors les obus sifflent sans discontinuer par rafales de huit ou dix et ces sifflemens ininterrompus, se répercutant sous les voûtes de notre asile, nous