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domiciles bombardés, croyant à la délivrance prochaine de la ville, étaient venus mettre en sûreté leur « berloquin » dans ces celliers où on leur avait généreusement offert l’hospitalité. Ils étaient bien deux cents dans un des plus vastes, devenu une véritable cour des Miracles. Quand on y pénétrait, une odeur acre vous prenait à la gorge. Par quelques imprécises allées on avait bien cherché à diviser en compartimens ce grand espace de 50 mètres sur 20, mais on n’avait en réalité constitué que des compartimens factices et il fallait souvent, pour avancer, enjamber des couchettes étendues à même le dallage, ou faire le tour des lits, écarter des chaises et des fourneaux à pétrole. Ces pauvres gens avaient apporté là matelas ou paillasses. Sur des cordes tendues d’un pilier à l’autre se balançaient des bas troués, quelques étoffes rapiécées et du linge encore humide. Nous ne circulions que difficilement, courbant le dos pour franchir ces obstacles tendus à hauteur de nos têtes. Près de la couchette, unique souvent pour la mère et plusieurs enfans, un anémique fourneau à pétrole enfumait plus qu’il ne chauffait la casserole où était censée cuire la soupe du soir, et, par-ci par-là, pendaient aux piliers de l’édifice une cage à oiseaux vide de ses captifs, une vieille glace étoilée, un coucou grinçant ou un œil-de-bœuf n’ayant plus qu’une aiguille, pauvres souvenirs qu’avait en partie épargnés le bombardement et qui restaient encore précieux pour ces pauvres gens.

Des femmes, pour la plupart débraillées et mal coiffées, avec des enfans accrochés à leurs jupes, allaient et venaient dans ce vaste hall, bien heureuses encore d’y trouver un asile. Ceux qui n’ont pas vu quelles souffrances physiques et morales endurèrent, pendant les premiers mois de la guerre surtout, les malheureux émigrés obligés de fuir devant l’envahisseur, ne savent pas à quel degré le fléau de l’invasion peut éprouver les âmes même les mieux trempées. J’avais hâte d’éloigner les enfans de ce milieu aussi peu propice à leur santé physique qu’à leur éducation morale et je pensais qu’en ouvrant l’école dans un local tout proche, la maîtresse pourrait, par ses leçons, ses conseils et même les exigences réglementaires au point de vue de la propreté et de l’hygiène, contribuer à améliorer la condition non seulement des enfans, mais peut-être aussi des parens touchés indirectement. J’ouvris donc le 22 janvier l’école « Joffre. »