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que ces déménagemens périodiques, ce va-et-vient de pauvres sans travail et sans autres ressources que les secours du Bureau de bienfaisance, l’allocation de l’Etat ou l’indemnité de « garde » que leur paient mensuellement les riches propriétaires émigrés !

Lundi 26. — Tous les directeurs d’écoles absens de Reims, que j’ai convoqués pour conférer avec moi sur la situation et sur ce que nous pouvons faire, sont arrivés hier dimanche. La situation leur paraît très dangereuse et ils estiment qu’il n’y a lieu de rouvrir aucune école. C’est aussi, actuellement, l’opinion du maire ; je vais donc attendre. Je rends sa liberté à ce personnel que je rappellerai le moment venu.

Mercredi 28. — Je suis allé ce matin, pendant une accalmie, voir ma maison sur laquelle deux obus sont tombés lors du bombardement du 4 septembre. Les quartiers au nord de la place Royale sont lugubres. Personne dans les rues ou à peu près ; ce ne sont que maisons éventrées ou brûlées, poutres de fer tordues, pans de murs branlans. La circulation, même par « temps calme, » y est périlleuse : à l’angle de la rue de Bétheny et de l’ancien marché Saint-André, un homme qui passait hier devant une maison récemment incendiée a été tué par une grosse pierre qui s’est subitement détachée de la façade. Ma pauvre maison est dans un triste état : les obus l’atteignent maintenant par derrière depuis le recul des Boches. Un projectile a traversé l’immeuble du haut en bas, faisant à tous les étages des dégâts considérables.

Jeudi 5 novembre. — Je viens de faire une promenade nocturne dans la ville. Le spectacle de Reims le soir vaut d’être décrit. Depuis les bombardemens de septembre, il n’y a plus ni gaz ni électricité : on s’éclaire au pétrole. Mais comme nous sommes sur le front, l’autorité militaire a interdit depuis quelques jours tout éclairage des rues et même toute filtration de lumière par les portes ou les fenêtres des appartemens. Il paraît qu’il y aurait encore des espions qui la nuit font des signaux optiques à l’ennemi. Si bien que cette ville, autrefois ruisselante de lumière le soir, est maintenant, à la chute du jour, plongée dans la plus noire obscurité. La circulation devient difficile, inquiétante même. On marche à tâtons, se heurtant parfois les uns les autres ou buttant contre les poteaux du trolley des tramways. Cependant, de distance en distance, s’allument de