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cesse noires de monde. Durant les premiers jours, la foule se massa surtout sur le pont de Laon d’où l’on voyait se succéder jour et nuit, à quinze ou vingt minutes d’intervalle, les longs convois fleuris qui transportaient nos soldats joyeux et chantans. Les jours suivans, on se réunissait plutôt sur les promenades, face à la gare, où furent amenés les premiers prisonniers que chacun voulait voir, et bientôt aussi, — la nuit, — nos premiers blessés.

Vers le 11 août, le flot des Belges fuyant devant l’ennemi et dévalant à travers le faubourg Gérés nous apporta une première vision de la terrible réalité. Depuis cette époque jusqu’au début de septembre, ce tableau quotidien alla toujours s’assombrissant. Après les Belges de Liège, ce furent ceux de Charleroi, puis nos malheureux compatriotes de Givet, de Mézières, de Bethel, se repliant en hâte devant un ennemi qui les chassait comme un troupeau. Et l’on assista au lamentable défilé de ces pauvres gens poussant devant eux leurs bestiaux qui traînaient, efflanqués, de vieilles charrettes grinçantes portant quelques bottes de foin sur lesquelles s’entassaient pêle-mêle les enfans, les vieillards, la batterie de cuisine, la cage aux oiseaux et les souvenirs de famille, souvent les plus futiles... Puis ce fut le repliement de notre armée. D’abord, le corps des douaniers mobilisés qui, quatre par quatre, descendaient le faubourg Gérés. Puis les dragons, les hussards et le reste de la cavalerie partie quinze jours avant avec tant d’enthousiasme, qui maintenant allait se masser en arrière de Reims, en attendant de se replier vers la Marne où, enfin, devait avoir lieu le « grand rétablissement. »

Dès le 30 août, on percevait au loin la canonnade allemande ; le 31 août, on l’entendait très distinctement et, le 2 septembre, les Allemands étant à nos portes, le conseil de se replier fut donné officiellement aux fonctionnaires dont le séjour n’était pas indispensable dans la ville. Deux jours plus tard, le 4 septembre 1914, les Allemands entraient dans Reims qu’ils avaient au préalable, et « par erreur, » disent-ils, arrosé d’obus pendant une bonne demi-heure l’après-midi. Ils devaient l’occuper jusqu’au 12 au soir, date où ils en furent délogés par nos troupes qui, malheureusement, ne purent les refouler assez loin pour mettre la ville hors de leur atteinte. Ils s’installèrent sur les hauteurs qui, au Nord et à l’Est, dominent la