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qui pourrait ressembler à une originalité quelconque, le tout joint à un sentiment très vif de l’indépendance et de la dignité individuelle.

Mise en verve par les petits travers extérieurs des étrangers, ma grand’mère n’épargnait point les brocards à son entourage, à ses filles, à ses nièces, à ses petits-enfans. Les toilettes des uns et des autres étaient examinées et jugées par elle dans un esprit sévèrement hostile à toute prétention. Je me rappelle que, vers 1878, lorsque c’était la mode pour les dames de se coiffer « à la chien, » ou d’avoir des frisures sur le front, elle ne manquait jamais de rabrouer une de nos cousines qui abusait vraiment du bigoudi :

— Ah ! tu as bonne mine avec tes « chirouïlles » sur le nez ! Ou bien, comme ses souvenirs commençaient à se brouiller,

elle confondait les frisures « à la chien » avec les boucles qui s’étaient portées sous le Directoire et le premier Empire. Lorsque ma cousine, calamistrée de frais, s’approchait de son fauteuil, elle chaussait ses lunettes, et, après l’avoir dévisagée un instant, elle faisait une moue désapprobatrice et elle soupirait :

— Te voilà coiffée « à la Titus !... » Qu’est-ce qu’il faut voir, mon Dieu !

Pour elle, cette coiffure « à la Titus » évoquait l’idée des pires dévergondages. En fait de danses, elle réprouvait également la gigue, qui en ce temps-là faisait fureur, comme d’ailleurs la plupart des danses étrangères qui l’avaient tour à tour scandalisée à l’époque de leur première nouveauté : la valse, la mazurka, la polka. Je l’ai entendue longtemps citer avec une nuance de blâme la jeune personne « évaltonnée, » qui avait rapporté de Paris la polka et qui l’inaugura chez nous, au grand mécontentement des vieilles dames. La catchucha [1], danse espagnole, probablement introduite à Metz par les hussards de Lassalle, symbolisait à ses yeux les entrechats et les débordemens les plus orgiaques. Lorsqu’une cuisinière un peu brutale, ou prise d’une fureur soudaine, saccageait tout dans sa cuisine, ma grand’mère s’indignait :

— Peut-on !... La voilà qui fait danser la catchucha à nos casseroles !

Enfin elle censurait tous les excès, jusqu’à la couleur trop

  1. Exactement, en espagnol, cachucha.