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Les fermiers endimanchés et les propriétaires campagnards étaient invariablement traités de « Colas de village. » Le jeune paysan prétentieux, qui essayait d’en faire accroire aux gens de la ville, se voyait blasonné de l’épithète de « beau Jacques. » Mais cela se disait aussi des amoureux transis :

— Ah ! il a bonne mine ! C’est un beau Jacques !...

Enfin, au dernier degré de l’échelle, il y avait le « pochi, » — le « pochi, » digne de toutes les risées, de toutes les rebuffades et de tous les mépris ! C’était le type de parfait goujat, gros rustre en blouse, à la figure rubiconde quelque peu marquée de petite vérole, et traînant après ses grègues toute la crotte de son hameau, — ou bien bourgeois mal élevé, grossier, absolument infréquentable.

D’autres catégories burlesques étaient désignées par des expressions qui n’avaient pas changé depuis le moyen âge, qui étaient une survivance des mystères de la Passion et de la vieille scolastique universitaire. Un boulanger, long et osseux, à la face blême et au des rond sous son tricot enfariné, venait-il à descendre la petite rue en pente, le « gripet » qui passait sous les fenêtres de ma grand’mère, celle-ci le coiffait incontinent du nom de « Grand Nicodème. » Un maigre séminariste, aux cheveux en baguettes de tambour et tout empêtré dans sa première soutane, ne pouvait être qu’un « grand quoniambonus. » Il y avait d’ailleurs une foule d’autres locutions analogues, qui n’étaient pas précisément locales, mais que le fameux mystère représenté à Metz en 1437 avait certainement popularisées dans le pays : « pleurer comme une Madeleine, — vieux comme Hérode, — aller d’Hérode à Pilate. » — En ce moment, alors que les Allemands occupent encore le bassin de Briey, il n’est sans doute pas inutile de faire remarquer que toutes ces façons de dire, usitées depuis des siècles par nos aïeux, sont strictement françaises.


Sous ces vieux mots il y avait aussi des façons de sentir très particulières, qui se sont perpétuées chez nous jusqu’à ces derniers temps. Et parmi elles le trait le plus saisissant, c’est peut-être cette peur du ridicule, que les Allemands ne possèdent à aucun degré et que nos gens de Briey poussaient jusqu’à l’excès. Et c’est encore la crainte de se singulariser, l’effroi de tout ce