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n’y avait pas de bon sens d’avoir des cheveux hursus dans ce goût-là. » S’ils étaient trop courts, on avait l’air d’un pigeon-capucin ; trop longs, on ressemblait à un curé ou à un maître d’école.

Mêmes critiques pour le boire et le manger. D’après elle, les enfans devaient déjeuner d’une assiettée de « mitonnade » (c’est ainsi qu’elle appelait la panade) ; le café au lait était déclaré débilitant et elle blâmait nos parens de nous en laisser prendre. Nous ne devions être ni « narreux » ni « nâchons, » c’est-à-dire ne pas faire les dégoûtés, ne pas rechigner sur la nourriture, ne pas la gâcher non plus. Une côtelette « toute dénâchonnée » était une côtelette abîmée, massacrée par nos petites mains maladroites. Nous ne devions pas mettre trop d’eau dans notre vin, — autrement ce n’était plus qu’une « aouée, » — ni répandre par terre les miettes de notre pain : cela s’appelait « faire des grémiottes, » — ni avaler notre potage par trop petites cuillerées : cela s’appelait « cueilleroter, » — ni « triger » les asperges, c’est-à-dire les presser avec nos doigts, pour en exprimer le jus. Enfin, quand nous n’étions pas exacts pour l’heure du dîner, l’excellente femme nous avertissait, en prenant sa grosse voix, que, la prochaine fois, nous trouverions « le torchon au pot. » Ou bien, pour nous attraper, ou décevoir notre gourmandise, elle nous annonçait comme dessert « un petit rien entre deux plats. » Là-dessus mon imagination travaillait. Ce « petit rien » était pour moi une friandise extraordinaire, qui se servait dans un plat spécial soigneusement recouvert d’un autre plat, pour en conserver tout l’arôme...


Laveuses, qui, dès l’heure où l’Orient se dore,
Chantez, battant le linge aux fontaines d’Andorre !


Seul, le poète de la Légende des Siècles a pu percevoir les chants mélodieux des laveuses d’Andorre. Avec plus de vrai- semblance, Homère compare le ramage des servantes, dans l’Odyssée, aux jacassemens insupportables des grues du Caystre. Nos laveuses, à nous, ressemblaient fort à ces servantes homériques. Nul n’a jamais entendu leurs chants. Mais, telles des oies criardes, elles faisaient, autour de leur lavoir, une rumeur perçante qui se répandait au loin. Cette rumeur, scandée par