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pauvre vieille promettait à notre turbulence, et qui n’étaient guère qu’en paroles. Elle se retranchait derrière l’autorité de nos parens et de nos maîtres :

— Puisque c’est ainsi, disait-elle, je te ferai donner un « ratrot » par ton professeur !… Ah ! tu peux préparer tes culottes !

Un « ratrot ! » De même que les « tartines à la gaille, » je n’ai jamais su au juste ce que c’était. Il n’en est pas moins vrai que la crainte du « ratrot » fut encore, pour tous les bambins de ma génération, le commencement de la sagesse. Cela se réduisait probablement à une simple semonce plus ou moins véhémente, selon la gravité des cas. Ainsi, par exemple, quand nous rentrions avec une bosse au front ou un coup de griffe à la joue, le « ratrot » était aussi infaillible que la compresse, mais d’un pathétique très mitigé. Ma grand’mère criait (car toute sa vie s’est passée à crier contre Pierre et Paul) :

— C’est bien fait ! Tu n’en as pas moitié !…

Elle voulait dire : moitié de ce que nous méritions. L’expression était d’ailleurs susceptible d’une foule d’applications. Une personne-de nos amies s’était-elle conduite de façon un peu trop fantaisiste ou sentimentale, et en avait-elle été punie par des déboires, des humiliations, des pertes d’argent, elle prononçait avec une juste, sévérité :

— C’est bien fait ! Elle n’en a pas moitié !

Elle surveillait notre tenue et particulièrement notre attitude à table, mais la rigueur de ses principes avait bien fléchi, depuis l’époque de ses propres enfans. Néanmoins une foule de choses restaient défendues. On ne devait pas avoir l’air évaltonné, c’est-à-dire prendre des allures d’indépendance ou d’insubordination. On devait éviter la négligence dans sa mise : « Te voilà fait comme un sottré ! » était le reproche ordinaire qu’elle adressait aux bambins ébouriffés et mal vêtus. Le « sottré » est, paraît-il, d’après nos légendes lorraines, le lutin qui, dans les écuries, s’amuse à emmêler les crinières ou les queues des chevaux, à brouiller l’orge avec l’avoine dans les coffres, ou dans les picotins. Bref, un enfant « fait comme un sottré » ne pouvait être, dans les idées de ma grand’mère, qu’un modèle de désordre scandaleux. Elle critiquait non seulement nos costumes, mais jusqu’à nos coiffures et jusqu’à la coupe de nos cheveux. S’ils étaient secs et hérissés, elle déclarait qu’a il