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Les whizz-bang continuant, mêlés aux tonnerres des canons anglais, nous sommes remontés jusqu’à l’entrée du souterrain, pour regarder la fête. C’était bien une fête. Du côté du talus, devant les abris, la route, vide auparavant, s’était remplie de monde. Têtes nues, en bras de chemise, les hommes riaient, causaient, comptaient les coups : « Ça, c’est eux ! Ça, c’est nous ! Le howitzer de douze pouces ! » Animation soudaine, et qui rappelait l’Orient, à l’heure où, la terre enfin délivrée de l’insupportable soleil, la vie se répand sur la poudre d’un sokko, bourdonne devant les portes. L’ennui de la journée tombait comme une chaîne de plomb, rompu par la canonnade. Quelqu’un grattait du banjo. Un groupe se mit à chanter.

Je reverrai longtemps l’étrange scène : désolation lunaire du paysage, éclairs et fumées d’explosions sur une pente vide, champ de croix du petit cimetière, heureuse et magnifique jeunesse surgie dans la pâleur du soir, — et puis ces voix chantantes, ces traînantes, nostalgiques tonalités anglaises, entre des bruits formidables d’obus...


ANDRE CHEVRILLON.