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je m’imaginais cette « Chouchette de Miscault » comme une petite vieille éperdument frisée, avec des yeux ronds en clous de fauteuil et un minois folâtre... Enfin il y avait une autre dame de Miscault, la comtesse d’Ollone, — dont le nom se prononçait avec un accent de vénération toute spéciale.

Cette vénération, dont j’ai recueilli les suprêmes échos, ne datait guère que du second Empire. Si je me rappelle bien les propos de mes tantes et grand’tantes, les bourgeois de Briey n’avaient, sous le premier Empire et même sous la Restauration, qu’une considération médiocre pour les derniers représentans de ces vieilles familles à demi ruinées. Et c’est peut-être pourquoi ma grand’mère, marchant sur son vingt-quatrième printemps, fut tout heureuse et tout aise d’épouser un simple brasseur qui lui donna douze enfans et une aisance que l’on ne connaissait plus chez ses parens. Elle quitta sa tour pointue, son manoir de La Solle et le beau monde de la Ville-Haute, pour descendre à la Ville-Basse (il fallait entendre de quel ton dédaigneux on disait « la ville-basse » chez les gens de la « ville- haute ! ») et pour s’installer dans une brasserie, sise au bord de l’eau, à côté d’une tannerie et d’un moulin ! Cependant elle ne crut point déchoir. Le logis où elle entrait était peut-être plus antique que celui dont elle sortait. Mon grand’père pouvait étaler des quartiers de bourgeoisie infiniment respectables et qui valaient bien les quartiers de noblesse de sa femme. J’ai vu, de mes yeux, dans une cave de la maison, une ancienne croix votive encastrée dans la muraille et dont la dédicace portait que ladite croix avait été érigée, en l’an de grâce 1694, par un bisaïeul ou trisaïeul de mon grand’père, pour commémorer la réfection de cette brasserie héréditaire.

Mais, même sans sa petite aisance et cette tradition bourgeoise déjà longue, mon grand’père avait de quoi éblouir sa fiancée. Outre ses avantages personnels, il était, dans le Briey d’alors, ce qui s’appelle « une forte tête. » Bonapartiste convaincu, il avait groupé autour de lui tous les libéraux de la localité. Sous Louis-Philippe, la politique le mit très en vue : ce qui lui permit d’arrondir considérablement sa fortune. Sous le second Empire, ce fut le triomphe : il devint un des plus fermes appuis du régime. Lorsqu’il mourut, en 1861, le sous-préfet de Briey, M. Stéphen Liégeard, le délicat poète des Abeilles d’Or, et, actuellement, l’unique survivant, je crois, des