Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans doute, soit à Hattonchâtel, soit dans les environs de Briey, pour ne reparaître qu’après le Directoire. En tout cas, le courage de son beau-père, qui, en pleine Terreur, n’abandonna point sa maison de La Solle, lui valut de conserver ce suprême morceau du patrimoine de sa femme, tout entier vendu comme bien national. Mais cette propriété, avec la ferme attenante, était peu de chose pour entretenir une famille de huit enfans ! L’héritier des seigneurs de La Solle dut se résigner à une situation des plus modestes. Ses fils aînés s’engagèrent dans les armées de l’Empire. Ses filles furent élevées avec une extrême simplicité, si j’en juge par ma grand’mère, qui savait tout juste lire, écrire et compter. Aucune culture littéraire, aucun art d’agrément. On ne lui avait rien appris, en dehors du catéchisme, ce catéchisme impérial, qui fut, paraît-il, le cauchemar de son enfance, tant il était compliqué, surchargé de préceptes révérencieux touchant Sa Majesté l’Empereur et son auguste dynastie ! Quand, en 1872, on dut substituer, dans nos écoles, le catéchisme du diocèse de Nancy à celui du diocèse de Metz, je me souviens que je gémissais et que je me dépitais contre la longueur des réponses. Sur quoi, ma grand’mère me rabrouait :

— Qu’est-ce que tu aurais dit, si tu avais été obligé, comme moi, d’apprendre le catéchisme impérial !...

Ces notions de piété et une infinité de contes de revenans composaient tout son bagage intellectuel. Mais de fortes traditions de famille compensaient ce manque de culture. Elle avait gardé de sa première éducation un certain sens de la tenue, du décorum, voire de l’élégance, et aussi le culte des belles relations. Dans le Briey somnolent et désœuvré de ce temps-là, on se visitait énormément. L’existence se passait même tout entière en visites. A l’époque de ma grand’mère, il s’y trouvait un minuscule faubourg Saint-Germain, disparu depuis longtemps lorsque j’étais petit, et dont toutes les belles dames dormaient au cimetière sous des plaques de marbre, où je m’évertuais à déchiffrer les lettres dédorées de leurs noms. C’étaient toutes des parentes ou des alliées de la famille : les de Lorme, les de Maygret, les de Miscault. Je me souviens que mes tantes, dans leurs conversations, rappelaient parfois le nom d’une vieille demoiselle nonagénaire, depuis longtemps défunte, qu’elles nommaient familièrement « Chouchette de Miscault !... » Chouchette, dans notre français local, veut dire « frisette. » Et