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L’ÉTERNEL CHAMP DE BATAILLE [1]

LES
BONNES GENS DE CHEZ NOUS
II

Une longue figure pâle aux joues tombantes et avivées d’un peu de rose, entre deux couples de papillotes en boudin qui, jusqu’à sa mort, restèrent du plus beau brun, et qui semblaient les appendices naturels d’un bonnet à ruches et à rubans violets, — un bonnet qu’elle s’obstinait, je ne sais pourquoi, à appeler « mon bonnet rouge, » — un caraco de soie noire bordé de petites perles très dures, une jupe de même étoile, — le tout posé sur un « couvot, » — telle est restée dans mon souvenir la silhouette de ma grand’mère maternelle, toujours immobile et silencieuse dans son fauteuil, impersonnelle et inexpressive comme une figure mythologique environnée de ses attributs. Si j’ose parler d’elle ici, c’est que, comme ma vieille amie de Spincourt, la mère Charton, cette aïeule, nonagénaire, qui était devenue, avec les années, à peu près étrangère à la vie ambiante, m’apparait, elle aussi, merveilleusement représentative de toute une terre lorraine, la région de Briey, celle des riverains de la Moselle entre Metz et Thionville. Pour moi, la mère Charton, c’est la Woëvre, avec ses grands vents, ses pluies diluviennes,

  1. Voyez la Revue des 15 août et 1er septembre 1913, 1er décembre 1916.