Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/831

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venait d’allumer le feu, et sagement, comme elle l’avait vu faire à sa mère, elle épluchait des pommes de terre et des carottes qu’elle avait prises dans des provisions entassées au grenier. Elle avait lavé ses petits frères qui étaient propres et frais et jouaient en riant. Luc ayant entr’ouvert la porte les regardait. Celle qui avait été pour lui toute la beauté, la douceur, l’ivresse de la vie était couchée là dans le silence éternel, et pourtant la maison n’avait jamais été si pleine de jeune force et de jeune espérance. Ces enfans, qui avaient vu massacrer leur mère deux jours à peine auparavant, s’accoutumaient au nouveau foyer avec toute l’humble et robuste docilité de leur âge. Luc songeait en les regardant que maintenant sa maison leur appartenait, sa vie aussi, tout lui-même et que Gotton l’avait voulu ainsi. Il referma la porte et se retourna vers Connixloo.

Sur une civière de branches clouées, ils portèrent ensemble le corps de Gotton jusqu’à Metsys. Là, ils la couchèrent en terre bénite, parmi les glaïeuls, à côté de Jeanne Maers, la belle amoureuse à qui elle avait ressemblé. Et Connixloo s’en fut chercher le curé pour qu’il vînt bénir la tombe. Le curé, qui était gardé comme otage à la maison commune, vint entre deux soldats réciter les prières des morts.

Quand il eut fini, Connixloo, redressant ses genoux raidis, l’accompagna jusqu’à la porte du cimetière. Alors le vieux curé lui mit tendrement le bras sur les épaules et lui dit : « Ne te fais pas trop de tourment, mon bon Connixloo. Le Seigneur est miséricordieux. Vois-tu, ta pauvre Gotton, elle n’avait pas la tête bien claire, c’est pourquoi elle s’est laissé induire en erreur ; mais c’était une fille au cœur profond. »


CAMILLE MAYRAN.