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Dans la maison commune, le capitaine de la compagnie cantonnée à Meulebeke travaillait avec ses deux lieutenans. Des cartes de la Flandre occidentale s’étalaient devant eux sur une large table, au coin de laquelle étaient posés un broc de bière et trois verres qu’ils remplissaient et vidaient fréquemment.

Un planton parut dans la porte.

— Mon capitaine, c’est une femme qui demande à entrer.

— Une femme qui veut entrer ? Allez donc voir, Hillmer, dit le capitaine, c’est peut-être un renseignement.

Le lieutenant Hillmer était un officier de tenue très militaire. Il avait un gros cou violacé qui débordait en bourrelet du col de sa tunique, une mâchoire carrée, de belles dents blanches. Avec la raideur rapide d’une excellente mécanique, il se leva et sortit.

Il revint au bout de quelques minutes.

— Mon capitaine, c’est une fille de ce pays qui a l’air d’une folle. Elle vient dire qu’elle a tué un soldat la nuit dernière.

Le capitaine ne put réprimer un sursaut :

— Comment, ici ? dans notre cantonnement, on a tiré ?

— Non, tué au couteau — du moins c’est ce que raconte cette femme. Ce ne devait pas être un homme de la compagnie. Il ne manquait personne à l’appel ce matin.

Un silence suivit. Le lieutenant Hillmer regardait son capitaine droit dans les yeux et un sourire d’attente relevait sa lèvre couleur de cuir sur ses dents blanches. Le capitaine, un gros homme à barbe blonde et dont les paupières tirées clignotaient, se passait et repassait la main sur le front.

— Il faut la juger, dit-il, et nous tâcherons d’arrêter l’affaire avec une exécution.

— Pardon, mon capitaine, reprit Hillmer, vous vous rappelez nos ordres : punition collective toutes les fois qu’on nous aura tué un homme. Le cas d’aveux spontanés n’est pas prévu.

— Hé bien ! devant un cas qui n’est pas prévu, j’interprète les ordres, que diable !... J’interprète ! Voyons, Hillmer, vous croyez que j’ai envie d’incendier ce trou ? Vous croyez que ça me ferait plaisir, dites ? Est-ce que vous n’en avez pas assez de ces cochonneries ? Il y a quinze jours que je ne dors pas. La